9. La nouvelle magie

Il  y avait donc maintenant, devant le pont coupé, deux carrosses.  Le carrosse de police du commissaire Curieux et le carrosse citrouille-pourrie de Cendrillon. Le commissaire ne pouvait plus faire demi tour.  Il se disait que si jamais le chat botté arrivait avec le Marquis de Carabas et l'Ogre et le petit Chaperon rouge et la directrice de l'école des Princesses, il y allait avoir un drôle d'embouteillage sur cette route et que ça n’arrangerait rien au problème.  Le commissaire eut une idée.

Le commissaire : « Madame Cendrillon, vous qui avez une grande expérience des histoires et des tours un peu magiques, dites-moi comment faire pour traverser ce fleuve alors que le pont est coupé. »

Cendrillon : « Eh bien, cher commissaire Curieux, écoutez-moi bien, je vais vous donner un conseil, un bon conseil, un conseil de fée, un conseil de Princesse, un conseil extraordinaire : il faut, écoutez-moi bien, il faut que vous, Commissaire Curieux, vous demandiez au Roi Nicolas, Roi du Pays Joli, mari de la Reine Annick et père de la petite µ, il faut que vous lui demandiez de vous acheter un hélicoptère.

Le commissaire Curieux ne répondit même pas. Il soupçonnait Cendrillon de vouloir faire de l'humour à bon compte.  De plus les rats roses du carrosse citrouille commençaient à en avoir assez d'attendre et essayaient de faire peur aux chevaux de police du commissaire en leur faisant de vilaines grimaces de rats et en poussant de petits cris.

tous droits réservés - Françoise Cloarec - francoise.cloarec@wanadoo.frCendrillon avait bien compris qu'il fallait qu'elle se dévoue et use de ses pouvoirs magiques pour assurer le passage d'une rive à l'autre.  Cela l'énervait bien un peu.  Après tout, elle n'était pas le bureau des Ponts-et-chaussées.  Et puis, avec le Roi Nicolas, elle n'était même pas sûr d'être payée.  Enfin tant pis, la situation était grave.  Cendrillon réfléchissait.  Elle sortit de son carrosse un gros livre et un ordinateur. En effet, elle avait toujours trouvé très compliqué et très ennuyeux de se rappeler toutes les formules magiques par coeur.  Sur son ordinateur, elle pouvait toutes les inscrire, les "entrer" comme on dit en informatique. Le gros livre, c'était seulement pour apprendre à se servir d'un ordinateur.  Même Pour les fées c'est parfois difficile d'apprendre à s'en servir.  Du temps des premières fées, du grand temps des grandes fées, il n'y avait pas encore d'ordinateur, alors, quand elles en avaient eu, elles avaient dû apprendre l'informatique, comme tout le monde, la magie n'y pouvait rien.

Cendrillon expliqua au commissaire : « Vous voyez, commissaire, dans cet ordinateur, il y a sûrement quelque chose pour nous aider.  Le problème, le seul problème, c'est que je n'ai pas d'électricité pour le faire fonctionner.  Il y a bien une formule magique pour faire de l'électricité mais elle est dans l'ordinateur.  Il faudrait quand même que je me décide à apprendre quelques formules par coeur, ça peut toujours servir. »

Le commissaire sauta en l’air : « Pourquoi ne me l'avez-vous pas dit plus tôt ? Moi, dans mon carrosse de police spécial, j’ai de quoi faire de l'électricité.  C'est simple, facile, efficace.  J'installe ce tapis roulant sous les sabots de mes chevaux.  Je les lance ou galop.  Je branche ce fil là à cette prise ici, ce moteur à un autre fil et l'ordinateur sur ce fil. »

Cendrillon n'avait rien compris.  De toute façon, elle n'avait rien écouté.  Tout cela lui semblait compliqué et pour tout dire pas très magique.  Cendrillon était parfois très injuste.

Le commissaire installa tout son attirail, ils attendirent trois minutes, vingt sept secondes et huit dixième et quart : le temps nécessaire à l’ordinateur pour se mettre en marche comme l’indiquait le livre de Cendrillon.

Soudain ils entendirent: « bip, bip, bip, bip, bip, bip, bip, bip, bip, bip » Ça y était, ça marchait.  Cendrillon, un oeil sur le livre un autre sur le clavier commença à taper:

PONT CASSÉ
PROBLÈME
QUE FAIRE ?

L'ordinateur répondit :

ERREUR
RÉPÉTEZ
QUE FAIRE ? S.V.P.

C'était un ordinateur très poli mais un peu énervant.  Cendrillon répéta sa demande en ajoutant S.V.P. car il faut toujours obéir à un ordinateur si l'on veut en sortir quelque chose.  Après un long moment, après toute une série de bip, de petites étincelles et de petites lumières multicolores, sans doute pour faire plus joli, l'ordinateur répondit:

ACHETEZ UN HELICOPTERE
STOP

C'était reparti ! Toujours cette histoire d'hélicoptère ! Le commissaire, au comble de la fureur, se roulait déjà dans la boue.  Cendrillon affolée, lui dit de ne pas s'énerver, d’attendre un
peu, elle connaissait la suite du programme.  Elle tapa :

AUTRE SOLUTION

L'ordinateur répondit:

DITES S.V.P.

Bien qu'elle ait envie maintenant de donner des coups de pieds, Cendrillon répéta :

AUTRE SOLUTION S.V.P.

Une petite lumière s'alluma, qui signifiait que l'ordinateur réfléchissait.  Il chercha, chercha longtemps, dans tous les coins et les recoins de sa mémoire d'ordinateur, même que les chevaux du carrosse de police étaient fatigués de faire de l’électricité, ce qui n'est pas un travail de chevaux, même de police.

Enfin, quand personne n'y croyait plus, l'ordinateur afficha sur son écran :

S'IL N'Y A PAS D'HELICOPTERE
PRONONCEZ LENTEMENT
TOURNEBOULIS
PONT ÉBOULÉ
PONT ÉBOULÉ SERA RABOULÉ
RECONSTRUIT
PAR LÀ ET PAR ICI

Alors, le commissaire Curieux, toujours trop pressé, se précipita et dit : « Tourneboulis rapiéça, le pont rabouli par là et par ici. »

Il y eut une grande fumée et de grands éclairs et ils virent apparaître un pont, mais un drôle de pont, à l'envers et tout biscornu.  En tout cas aucun carrosse ne pouvait passer dessus.

Cendrillon, très en colère, s’arracha quelques cheveux blonds-décolorés qui devinrent instantanément des serpents venimeux : « Mon pauvre Fourre-son-nez-partout et surtout où il ne faut pas, vous êtes tout à fait nul et je ne sais pas ce qui me retient de vous transformer en gros rat vert-pomme pour changer un peu.  Regardez-moi ce pont !  Quelle honte !  Si mes collègues, surtout la fée Carabosse voyaient ça, pour quelle fée est-ce que je passerais ? Déjà qu'elles m'en veulent parce que je ne suis pas fée de naissance...

Elle leva alors sa baguette magique et, toute rouge, elle prononça: « Par ici et par là, déconstruit, déboulé, éboulé, pont, libournetourne."

Le pauvre commissaire rentra la tête dans ses épaules car il s'attendait à se transformer en quelque monstre pas agréable à regarder et à fréquenter, mais il n'en fut rien.  En fait, Cendrillon connaissait les formules pour détruire les sortilèges idiots et le pont biscornu disparut.  Elle prononça ensuite la bonne formule et un superbe pont s'édifia devant leurs yeux ébahis.

Le commissaire remercia Cendrillon et voulut partir tout de suite. Cendrillon, têtue, voulait à tout prix trouver la formule magique qui fait que les ponts se décorent de petits drapeaux, mais quand le commissaire lui eut expliqué toute l'histoire, Cendrillon fit démarrer son carrosse-citrouille-pourrie dans beaucoup de poussière.

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