13.  Où l'on découvre la disparition, entre autres

Tous droits réservés Françoise Cloarec - francoise.cloarec@wanadoo.frPendant que Grisaille et µ descendaient leurs escaliers inconnus, oubliés, et donc tout à fait mystérieux, au château gris du royaume ténébreux, tout le monde était ennuyé, ennuyé, bien ennuyé.  Enfin, tout le monde sauf le Seigneur Ténébreux, qui lui, n'était pas encore au courant de la disparition des deux enfants.

Voilà ce qui s'était passé : la salle de jeux du Prince Grisaille était équipée de caméras vidéo pour la surveiller, pas seulement pour voir quelles bêtises Grisaille faisait car il en faisait toujours et tout le monde l'acceptait mais surtout parce que le Roi craignait que Gertrude n’essaie de reprendre son fils. De plus, dès que µ était arrivée, la garde avait été doublée, Eh bien, en dépit de tout cela, personne ne s’était aperçu de la fuite du Prince et de la petite Princesse,

En effet, au château Ténébreux, on avait une bien mauvaise habitude : la sieste.  Une sieste un peu particulière.  Tous les jours, de trois heures à quatre heures, le Roi s'enfermait dans la plus haute salle de la plus haute tour et personne n'avait le droit de le déranger.  De toute façon, personne n'y aurait pensé, ni les serviteurs, ni les femmes de chambre, ni les palefreniers, ni les astiqueurs, les nettoyeurs, les laveurs des carrosses ténébreux, et surtout pas les gardes.  Tous, se disaient que quand le Roi était dans sa tour, personne n’avait le droit de le déranger, mais que lui inversement et réciproquement, vice et versa, ne pouvait déranger personne.  Alors, tous les jours, de trois heures à quatre heures le château entier faisait la sieste, une bonne grosse sieste silencieuse.  La vie ne reprenait que plus tard, vers quatre heures moins le quart.

Le comptable du château gris Ténébreux avait compté qu'en quantité de sommeil par heure pour l'ensemble du château, ça faisait plus que pour la Belle au bois dormant et Blanche-neige réunies.  Mais, ça n'avait aucun intérêt.

À quatre heures moins le quart, ce jour là, le garde en chef de la vidéo de la salle de jeux du petit Prince Grisaille se réveilla et regarda ses écrans.  Il ne vit personne.  Il se frotta les yeux, comme si ça pouvait l'aider.  Il ne vit encore personne : ni Prince, ni Princesse.

Grisaille, que dans l'histoire, on prenait toujours pour un imbécile, n'avait pas trop mal calculé son coup pour s'envoler, enfin pour disparaître, enfin pour s'enfuir par le souterrain. (Ce
n'est pas la peine d'en rajouter.)

Le garde en chef poussa et tira tous les boutons, les relais crépitèrent, les écrans en noir et blanc chauffèrent, mais rien : ni Grisaille, ni µ. Affolé, il se précipita sur les portes de la salle de jeux, osant croire encore à une farce ou à une panne des machines.  Et là, quelle ne fut pas sa surprise extrême, sa surprise étonnante, sa surprise étonnamment surprenante : toutes ces couleurs ! ! ! Ces cubes multicolores ! ! ! Ces arbres dessinés, ces fleurs, cette herbe, et le ciel bleu ! ! !  Le ciel bleu, si bleu ! ! ! Si bleu bleu ! ! ! Il n'avait jamais vu ça.  Il en avait parfois entendu parler par les autres, en cachette, par quelques rares valets, quelques cochers imprudents qui avaient osé enlever leurs lunettes noires l’espace d'un court instant, lors d'une visite au dehors du royaume Ténébreux.  Mais il ne croyait pas que c'était si beau.

Alors le garde appela un à un, une a une, les serviteurs, les femmes de chambre, les palefreniers. les astiqueurs, les nettoyeurs et les laveurs des carrosses Ténébreux, si bien qu'en un quart d'heure tout le château se retrouva dans la salle de jeux. Sauf le Seigneur Ténébreux.  Ils étaient tous étonnés, plus qu'étonnés, héberlués, ébaubis, étourdis.

Mais ce n'était pas tout, il fallait bien annoncer au Roi que son fils et sa petite otage avaient disparu... Le seigneur des lieux n'était pas commode. Personne ne voulait se dévouer pour lui annoncer la chose.  Alors, pour se donner du courage, ils décidèrent d'y aller tous. Dans l'affolement, dans une énorme ruade, tous les gens du château se précipitèrent dans l'escalier qui menait à la plus haute salle de la plus haute tour, se poussant, se tirant, se bousculant, comme emportés par une folie soudaine, et là haut, à cause de leur élan, de leur peur, de leur empressement, ils ne purent attendre que le Seigneur Ténébreux ouvre, et la porte céda.  Ils entrèrent tous, et là, malheureusement, ou heureusement, il faudra voir, une autre surprise les attendait, une surprise qui n’aurait pu rester sans conséquence, sans conséquence grave. 

La suite du conte
L'index du conte