22. Tempête au château fou

Le lendemain, Cendrillon et Curieux, accompagnés de Cloridrix, se présentèrent aux portes de l'hôpital pour enfants, que Cendrillon appelait "le château fou".

Pour en arriver là, il avait fallu d'abord résoudre quelques problèmes matériels comme celui de l'argent, par exemple.  Heureusement, Cloridrix avait un billet et quelques pièces dans ses poches et Cendrillon trouva très amusant et pas fatigant pour deux sous d'en imiter à la pelle. Cloridrix dut même la limiter et lui expliquer que ce n'était pas nécessaire de se promener avec des millions et des millions juste pour prendre un taxi. Il lui conseilla de changer plutôt leurs vêtements et il en profita pour se faire chausser des "santiags" dont il rêvait depuis longtemps. Cendrillon lui dit de se méfier, parce qu'avec elle, les chaussures... à minuit... on se retrouvait en chaussettes, comme dans le métro.

Elle donna aussi à Curieux un appareil photo multi objectifs et ils se mirent en route,

Ils n'avaient pas préparé de plan.  Cendrillon avait un peu révisé ses histoires merveilleuses et ses tours les plus faciles. Ils pensaient regarder et improviser.

Dans la salle principale du château le médecin chef chef avait fait rassembler les enfants et parmi eux µ et Grisaille. Ils se demandaient bien ce que ça allait être, ces histoires merveilleuses : encore des racontars, encore des "il était une fois" d'imposture.  On avait même amené quelques adultes du service pour adultes fous, enfin débiles, enfin malades mentaux à petit vélo dans la tête.

Mais vous ne savez pas tout... Revenons un peu en arrière

Quand µ et Grisaille étaient arrivés au château des enfants fous au cerveau mou, le personnel avait été très vite impressionné par les qualités de peintre de µ, si bien qu'après quelques jours, comme elle ne faisait pas pipi au lit comme Grisaille, on lui avait proposé de faire un atelier peinture avec d'autres enfants. µ accepta et cela eut tant de succès qu'on fit venir quelques adultes du service d'à côté, pour les rééduquer.

Un jour, µ et Grisaille virent arriver quelques fous, un peu endormis, l'air assez abruti, qui avaient l'air de s'ennuyer.  Soudain Grisaille commença à trembler et à bredouiller: "ma, ma, ma, ma, ma." µ pensa que cette fois là, le pauvre Grisaille était devenu complètement débile et qu'on avait eu raison de penser qu'il était un peu faible du ciboulot.  Mais Grisaille agrippa µ par le bras en continuant à bredouiller: "ma, ma, ma, ma, ma." µ le secoua, lui dit de se reprendre, de ne pas avoir peur, que ces gens étaient très gentils seulement un peu endormis et Grisaille continuait: ..ma, ma, ma, ma, ma." Il lâcha µ et se précipita dans les bras de la dame la plus grosse, la plus laide et la plus abrutie en criant cette fois ci : "ma, ma, ma, ma, ma, ma, ma, ma, ma, maman !"

Pour une surprise, c'était une surprise ! Comment était-elle arrivée là ?

Gertrude le repoussa violemment.  Grisaille se jeta de nouveau dans les bras de sa mère.  Elle le repoussa encore.  Elle le repoussa comme ça dix fois avant que µ n'intervienne et arrête ce jeu qui tenait à la fois du flipper et du punching ball, de la boxe et du golf.  Apparemment Gertrude Ténébreux avait tout oublié.

La femme de service raconta à µ qu'on avait trouvé, un soir, Gertrude errant dans la rue dans un accoutrement bizarre tout noir avec les doigts tout tachés de peinture grise.  Elle hurlait des insultes contre son mari qu’elle appelait "Seigneur Débile", Elle avait fini par entrer dans une boucherie et avait expliqué longuement que tous les bouchers charcutiers du monde devaient se prendre par la main pour attaquer le château gris avec leurs longs couteaux acérés de bouchers charcutiers.  Le boucher, devant cette personne si déboussolée ne manqua pas d'acquiescer et dès qu'elle eut la moitié de son énorme dos tourné, il appela la police.

On voulut lui mettre la camisole de force.  Gertrude en détruisit une dizaine si bien que pour la maîtriser, le vétérinaire du zoo local l'endormit avec la seringue fléchette qui servait d’habitude aux hippopotames en colère.

Arrivée à l'hôpital, Gertrude se réveilla et recommença à tout vouloir casser. Heureusement le vétérinaire avait laissé tout un stock de fléchettes et pendant tout un mois ce fut le seul traitement qui lui réussit.

Le personnel du pensionnat fit le noir dans la salle et quand la lumière réapparut Cendrillon et Curieux étaient sur la scène.  Stupeur !!!  Mille stupeurs !!!  Grisaille voulut crier mais µ le retint en mettant sa main en bâillon sur sa bouche.  Elle savait que dans les situations de ce style, il était préférable de toujours attendre. C’était comme ça dans tous les dessins animés. D'émotion, cependant, elle cracha dans son mouchoir deux petites bagues, ce qu'elle considéra comme un présage tout à fait positif.

Cendrillon raconta quelques histoires et Curieux prit quelques photos des enfants. Cendrillon, tout en parlant, réfléchissait. Elle avait repéré µ et Grisaille et même la grosse Gertrude Ténébreux avachie dans un coin.  Elle avait vu aussi µ cracher des bijoux et cela lui avait donné une idée : toute cette magie qu'elle réussissait depuis deux jours, la libellule dorée, l'argent et même les "santiags" de Cloridrix... Elle n’avait donc pas perdu ses pouvoirs magiques contrairement à ce qu’avait dit le Grand Merveilleux ?  Cela venait peut-être du fait que Curieux avait calé la porte de la salle. Les pouvoirs passaient certainement par là.  Alors, elle décida de tenter le tout pour le tout, la fin pour la fin, le but pour le but, sans crainte des conséquences, bref, de tenter la grande, l'extraordinaire formule magique très magique, magiquissime : disparition et transportition, comme la vieille garce anglaise de Mary Poppins.

Elle déclara qu'il lui fallait trois personnes et fit monter sur scène Grisaille, µ et Gertrude ténébreux que l'on traîna.  Puis elle fit sortir un grand fil doré et lumineux pour les entourer tous et déclencha dans la salle un vent de tempête furieuse, et soudain, fluorescents, merveilleux, inimaginables, ils disparurent. L'enchantement avait fonctionné. En survolant les portes, Cendrillon avait même eu assez de force pour attraper Cloridrix par ses bottes pointues.

Quand il eut retrouvé ses esprits le médecin chef chef expliqua à tout le monde qu'il ne fallait rien dire à la police.  Qui les aurait crus ? Ils risquaient plutôt de se transformer, eux, en pensionnaires spéciaux de leur propre pensionnat.

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