Tu as gagné. Je
ne
suis pas allé à Venise et j'ai laissé ma valise à
la consigne de la gare de Lyon. Le train est parti sans moi et si
j'apprends
que tu as pris un avion, que tu as acheté du parfum et des disques
dans les boutiques de l'aéroport, je me dirai encore une fois que
l'indigence de tes goûts me sert d'espoir et de compensation.
Je n'ai encore rien
fait
de ce samedi vacant. J'ai relu ton message.
J'ai défait la valise égyptienne, déballé les
emplettes que j'ai faites et que je te céderai peut-être.
J'ai retrouvé la photo sur laquelle j'avais cru reconnaître
Mathieu. Je reste dans le doute. Si c'était lui ? Ce jeune homme
aux cheveux si noirs et plus noirs dans l'argentique.
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Je me suis assis
sur les
marches de la porte de la Citadelle, ému d'avoir traversé
cette partie de la ville. Je ne savais pas que je partais pour Alep. Tu
m'as fait cette surprise, allant jusqu'à subtiliser mon passeport
pour faire apposer un visa. Nous sommes arrivés sans y croire,
naviguant
dans cette Venise sans eau. Tu sembles t'étonner des émotions
que me donne l'odeur des épices, tu te moques de ma souffrance,
et c'est ton habitude. J'ai
décidé de te laisser, de marcher seul dans les ruelles. J'ai pris une photo de la
rue où je t'ai donné ce baiser
furtif, dans le cou, alors que nous rentrions d'une promenade angoissée. Elle
est belle et sale, triste et sépia. Je
n'aurais pas pu choisir une ambiance plus détruite et malencontreuse.
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