Quand il arrive au vendredi, il sait que c'est son jour de carême. Il est coursier dans une boîte qui paye mal et qui lui impose des délais impossibles. Il revient le soir chez lui, le cou marqué par la lanière du casque, avec l'odeur du mélange d'essence et d'huile et des vrombissements aux oreilles. Son but, ce serait de devenir routier, mais il ne faut pas qu'il attende trop longtemps. Après trente ans, on peut toujours passer le permis mais c'est plus difficile de trouver une place, surtout quand on est sans expérience. Il est certain qu'il peut y arriver. Sa copine s'appelle Marie et a un super job. Elle est architecte et elle construit des mondes en trois dimensions pour le Web dans une nouvelle entreprise installée près du périphérique, dans le nord de Paris. Au début il avait craint que Marie s'amuse avec lui, il s'est demandé ce qu'une super architecte comme elle pouvait trouver à un coursier comme lui. Il a compris petit à petit. D'abord, il sait caresser les yeux des femmes et quand il arrive, son casque sous le bras, elles le regardent. Il leur caresse les yeux. Ensuite, il ne sait pas qu'il est coursier. Non, il ne joue pas de musique, non, c'est son vrai métier, il n'est pas intermittent du spectacle ou artiste plasticien sous commande publique à venir. Mais quand il va au cinéma, il sait que Marie est contente de faire la queue avec lui, de voir le film avec lui, de sortir du cinéma avec lui et de parler du film en mettant sa tête contre lui. Quand ce ne sera plus comme ça, un jour, cela sera un autre temps de sa vie, alors, il ne s'en soucie pas. Il aimerait bien un jour voir Marie un samedi. Le vendredi, elle rentre tard, et il garde des souvenirs de week-end doux, d'expositions et de cinéma, qu'il ne vit ni ne voit jamais pour de vrai.
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