Dans sa vie du dimanche, en plus de l'hôpital, il y a les odeurs de l'hôpital, un peu sucrées, un peu poisseuses, il les sent du fond de son coma, c'est même l'impression la plus forte qu'il a, le fl continu de sa vie, ces odeurs là. Ensuite, il y a les bruits qui viennent d'un entrechoquement, des cliquetis d'instrument dans un bac métallique, des choses que l'on traîne, que l'on pousse et le grincement de la troisième porte du couloir, à droite. Mais sa sensation va beaucoup plus loin que là. Chaque jour, il se laisse aller jusqu'au parterre de fleurs courtes et il pense qu'il est le seul à percevoir avec ce genre d'intensité là le passage du vent entre des herbes rases. Il peut encore aller plus loin, mais il faut revenir ensuite, contrôler la machine qui respire, qui fait circuler tous ces liquides, qui est le port d'attache. Quand il va trop loin, il a peur. Comme une corde qui se tendrait trop. On ne met jamais personne avec lui dans sa chambre, il croit que c'est son amie Juliette, qui connaît le médecin chef, qui y veille. Il ne sait pas s'il aimerait avoir quelqu'un avec lui, cela lui est assez indifférent, il ne perçoit que les personnes qui le connaissent, qui lui sont destinées, les autres n'existent pas. Il n'est pas triste, il n'est pas heureux, il n'attend pas, mais le temps passe. Parfois, il entrevoit comme une issue, mais c'est aussi la douleur de l'accident qui vient en même temps et il lui faudrait surmonter la douleur pour pouvoir sortir, voir Juliette et sa mère, qui habitent cette maison blanche, dans la grande rue de Tournon. Où a-t-on mis ses affaires. Sans doute que personne ne paye plus le loyer de l'appartement, ni les traites du chalet du Jura. Ce sera si fatigant de revenir.
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