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Mathieu Talence a noté que notre cohabitation était sans trouble. Il définit des espaces, des lieux, les balise et les nomme. J'en serais bien incapable.

Mathieu Talence n'habitait pas chez moi, cette maison n'a jamais été mienne.
Je n'habitais pas chez Mathieu Talence.
Je vivais dans une maison dont l'élément de distinction le plus précis, en surplus de la colonne du grand salon, du piano à queue et de l'argenterie d'Arménie du vaisselier de la salle à manger, est vite devenu, avec mon acquiescement las, Mathieu Talence lui-même.
Beaucoup se plaisaient à croire que la maison abritait des fantômes. Vingt années auparavant, le propriétaire avait péri dans la salle de bain, ébouillanté par l'explosion du chauffe-eau. Revenait-il ? Entendions-nous vraiment sur la terrasse les pas hagards de l'Arménien assassiné un demi-siècle plus tôt par l'amant jaloux d'une courtisane énervante ?
Les hobereaux de Venise de l'ancien consulat attenant pleuraient-ils, la nuit, la perte définitive de la Sérénissime ?

De tous, Mathieu Talence était le spectre le plus vivant, le plus évident que je pouvais montrer aux touristes qui, rabattus par les marchands d'étoffe du souk, souvent, demandaient une visite.

Mais Mathieu Talence ne raconte pas tout. Je n'ai trouvé nulle trace dans son carnet noir de la grande terrasse voisine, à laquelle on peut accéder par la chicane de la margelle d'un puits qui a été comblé. Je ne trouve nulle trace de l'escalier de pierre en colimaçon qui monte vers les toits de l'ancien consulat de Venise, et desquels on découvre la ville entière. Je ne trouve pas trace non plus de ses escapades dont j'ai pourtant la certitude.
Un soir où j'avais entendu successivement le grincement de la grille du puits, les claquements des verrous de la porte de l'escalier, et, où sans sommeil, après quelque temps, il m'avait pris de le rejoindre, je ne l'avais pas trouvé. Je lui avais auparavant montré comment on pouvait, au prix de quelques acrobaties sans danger, cheminer loin sur les toits du souk jusqu'à la citadelle, dans l'entrelacs des fils électriques et des câbles de télévision et de téléphone. Il avait sans doute retenu la leçon, et la nuit, par là, s'échappait. Je ne sais pas où il allait et ma patience, où la nécessité dans laquelle j'étais de m'endormir, ne m'ont jamais permis de savoir quand il rentrait. Je ne pourrais même pas affirmer que le matin, lorsque je partais au consulat, il était toujours là. Nous n'avions pas assez de familiarité pour que je puisse entrebâiller sa porte. 

Va-t-on jamais vérifier si un fantôme découche ? 
Je n'ai de même jamais cherché à savoir pourquoi il ne passait pas par la porte. 
Interroge-t-on un fantôme sur les aléas de ses itinéraires ?

François Vermand