diegese
diégèse 2006

l'atelier du texte

Séquence 22
Séquence 23
Séquence 24

Lumière.

Gustav entre sur la scène. Il arrive sur la scène. Il vient sur la scène. Vous pouvez choisir le verbe qui vous convient, qui conviendra le mieux à votre position, à votre situation. 

Gustav : je reviens de voyage. 

Je ne saurai pas raconter ce que j'ai vu dans les rues des villes. je vais essayer de vous raconter ce que j'ai vu dans les rues des villes, je vais vous raconter que pour tenir, pour réussir à tenir dans les rues des villes, j'ai parfois utilisé les larmes, j'ai parfois utilisé vos larmes. Pour tenir dans les rues des villes, pour réussir à tenir face aux signes incompréhensibles à mon passage, j'ai utilisé les larmes. J'ai vraiment utilisé vos larmes. Et je reste triste absolument. J'ai utilisé toutes vos larmes et je reste triste dans les rues de la ville. 

Je me rappelle les rues, je me rappelle leur intimité, je me rappelle l'intimité des fenêtres avec les fenêtres, l'intimité des trottoirs avec les trottoirs, et la rue, au centre dans cette solitude de rue. Et je reste triste absolument. Il n'y a aucune conclusion à cette tristesse. La rue ne conclut rien. 

Je ne peux vous laisser seuls dans toutes ces rues indistinctes, je ne peux vous laisser dans cet amoncellement de rues, dans les rues de votre mémoire, dans les rues de ma mémoire. 

Il faut tenter une typologie. Nous allons d'abord séparer les rues de l'enfance des rues de l'âge adulte, à supposer que vous soyez des adultes. Nous n'allons garder que les rues de l'âge adulte. Les rues de l'enfance sentent le bonbon, le lait, le soleil et elles ont déjà été trop utilisées. 

Des rues de l'âge adulte, nous allons séparer les rues des rencontres amoureuses de toutes les autres rues. Et nous allons jeter les rues des rencontres amoureuses. Elles sentent le parfum cosmétique et elles ont déjà été trop utilisées. 

Alors il reste des rues et la première qui viendra à l'esprit sera celle que, dans un premier temps, nous allons garder et nous en ferons le symbole de la rue, le symbole moderne de la rue moderne, nous la filmerons et ce film sera symbolique. Ce film sera le symbole de l'indistinct de la mémoire. 

Je recommence. Des rues. Vous enlevez les rues de l'enfance. Vous enlevez les rues des rencontres amoureuses. Il vous reste des rues, n'importe quelles rues, et vous prenez la première qui vous vient à l'esprit. 

Mais je me demande pourquoi vous avez vidé la rue de ses passants, pourquoi la rue de votre souvenir est déserte. Mais je me demande pourquoi vous n'avez pas pensé à la nuit, à la rue la nuit, la petite nuit, l'accusée du jour. Je me demande pourquoi votre rue est triste, pourquoi votre mémoire est triste. Mais vous ne pouvez pas me répondre. Nous n'avons pas de conversation. Nous n'aurons pas de conversation. Il n'y aura jamais que cette douleur diffuse et vos rues tristes sous le jour. Il n'y aura jamais que des rues tristes.

Mais la rue peut se venger. Elle peut se venger et la nuit et le jour. Elle peut se venger et le jour et la nuit. Elle peut appeler des renforts. Elle peut appeler à la rescousse. C'est la foule. C'est une foule. On ne sait pas ce qu'elle fait. On ne sait pas ce qu'elle veut. C'est juste la rue qui se venge. C'est seulement la rue qui rappelle sa mémoire de révolte et sa mémoire de peur. Et la nuit, et le jour, la rue devient blanche. La rue blanchit. Avec la foule arrive le bruit et vient ensuite une déflagration. Quand le film s'arrête, vous ne savez plus de quelle rue il s'agit.

Vous regardez et il n'y a plus d'images, il n'y a plus de films et il n'y a même plus d'écran car il n'y a aucun film, aucun film à voir, aucun film à attendre. Il n'y a plus d'images. Il n'y a pas d'images. La foule a encore déserté les rues, les rues de votre mémoire, de votre mémoire triste, déserté les rues de votre mémoire triste. La rue est vide, la rue est vidée, ni blanche, ni noire et pas tranquille, pas si tranquille. La rue est vide, dans l'intranquillité du vide.

Et quand la rue est vide, quand la rue est vidée, vidée de la foule, tristement vidée de la foule, quand la rue est entièrement vide et qu'il n'y a plus de film et que l'on a oublié ce que pouvait être une image, une seule image d'un film projeté sur un écran, quand il n' y a plus que l'idée de la rue, l'idée d'une rue vide, vous vous avancez jusqu'au coin de la rue, jusqu'au coin le plus proche car on n'a jamais vu de rue qui ne croise pas une autre rue. C'est même une des définitions de la rue que de croiser une autre rue. Vous vous avancez jusqu'au coin de la rue et c'est là que l'histoire peut commencer.


Séquence 24