diegese
diégèse 2006


l'atelier du texte


Séquence 44
Séquence 45
Séquence 46


Noëmie : je sais pourquoi je suis là. C'est écrit. Je sais pourquoi Mathieu est là. C'est écrit. Et Mathieu sait pourquoi il est là. C'est écrit. Mais je ne sais pas quel est le sens de ta présence. Noëmie s'adresse à Gustav.

Gustav : tu as donc décidé de reprendre les didascalies.

Noëmie : Noëmie s'adresse à Gustav et le regarde avec insistance, presque avec cruauté.

Gustav : c'est ce qui est le plus difficile dans le jeu du comédien, lorsque les didascalies indiquent que quelque chose se passe presque, ou bien se passe à peine.

Noëmie : Noëmie s'approche de Gustav. Tu ne parviendras pas à détourner l'attention du spectateur. Tu dois me dire quel est le sens de ta présence sur cette scène, quel est ton rôle, quel jeu tu joues.

Mathieu : c'est stupide. Cette question est stupide et pas seulement parce qu'il n'y a pas de spectateurs.

Gustav : mais il y a des spectateurs. Mais il y a plein de spectateurs. Mais il y avait plein de spectateurs.

Noëmie : Gustav se tourne vers la salle et constate, et peut constater qu'il n'y a personne, qu'il n'y a plus personne.

Mathieu : regarde les spectateurs, Gustav. Regarde cet homme au premier rang avec un drôle de foulard rouge sur les genoux. C'est le foulard de sa femme, de la femme qui l'accompagne, assise à côté de lui. Il a pris son foulard rouge et l'a mis sur ses genoux, comme un peu de douceur, pour prendre un peu de douceur face à nous qui n'en avons pas, qui n'en donnons jamais.

Noëmie : il n'y a pas de spectateurs.

Mathieu : regarde les spectateurs, Gustav. Regarde les derniers rangs, qui sont comme les derniers rangs de ta mémoire, pas moins importants que les premiers rangs mais juste plus éloignés et tu ne peux plus distinguer qui prend le foulard de qui et qui prend la main de qui.

Noëmie : il n'y a pas de spectateurs.

Mathieu : parfois, juste, pour les spectateurs des derniers rangs, tu as des remords, un peu de remords de ne pas avoir crié plus fort.

Noëmie : Noëmie insiste alors sur le fait qu'il n'y a pas de spectateurs. Elle se place entre Mathieu et Gustav. Ceux-ci se déplacent un peu pour pouvoir continuer à parler et à s'entendre mais Noëmie se déplace aussi, en même temps qu'eux et leurs mouvements sur la scène donne un pas de danse. Musique.

Mathieu : mais il n'y a pas de spectateurs.

Noëmie : Gustav se tourne vers la salle et commence à compter à voix haute, déplaçant lentement le regard puis la tête de la gauche vers la droite, de sa gauche vers sa droite.

Gustav : mais il n'y a pas de spectateurs. 1. 2. 3. 4. 5. 6. 7. 8. 9. Je ne sais pas aller plus loin que 9. La didascalie ne dit d'ailleurs pas jusqu'à combien je dois compter.

Mathieu : mais Gustav peut tout aussi bien compter les fauteuils.

Noëmie : mais il n'y a pas de spectateurs.

Gustav : peu importe les spectateurs puisqu'il y a les mots, puisqu'il y a ces quelques mots et que je les prononce et que les prononçant j'entends quelque chose et j'entends quelque chose qui se rencontre effectivement dans les choses.

Noëmie : René Descartes. 

Mathieu : il est peut-être le seul spectateur.

Noëmie : je ne comprends pas. Il y a plusieurs choses que je ne comprends pas. Tu dis, Mathieu, tu dis d'abord qu'il n'y a pas de spectateurs et puis c'est toi qui dis qu'il y a des spectateurs et c'est toi qui comptes les spectateurs, c'est toi qui les comptes.

Mathieu : c'est parce que je n'en sais rien. C'est parce que je n'en sais fichtre rien.

Noëmie : tu dis n'importe quoi ?

Mathieu : je dis presque n'importe quoi mais rien qui puisse nuire intentionnellement. Rien qui puisse nuire.

Gustav : et que dit Descartes ?

Noëmie : que c'est une véritable erreur de la nature.


Séquence 46