Diégèse




mardi 26 août 2014



2014
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La Fortune des Rougon2




Pendant que l'hôtel de ville était envahi, la gendarmerie, située à deux pas, dans la rue Canquoin, qui donne sur la halle, tombait également au pouvoir du peuple. Les gendarmes furent surpris dans leur lit et désarmés en quelques minutes. Les poussées de la foule avaient entraîné Miette et Silvère de ce côté. L'enfant, qui serrait toujours la hampe du drapeau contre sa poitrine, fut collée contre le mur de la caserne, tandis que le jeune homme, emporté par le flot humain, pénétrait à l'intérieur et aidait ses compagnons à arracher aux gendarmes les carabines qu'ils avaient saisies à la hâte. Silvère, devenu farouche, grisé par l'élan de la bande, s'attaqua à un grand diable de gendarme nommé Rengade, avec lequel il lutta quelques instants. Il parvint, d'un mouvement brusque, à lui enlever sa carabine.
Le canon de l'arme alla frapper violemment Rengade au visage et lui creva l'œil droit. Le sang coula, des éclaboussures jaillirent sur les mains de Silvère, qui fut subitement dégrisé. Il regarda ses mains, il lâcha la carabine ; puis il sortit en courant, la tête perdue, secouant les doigts.
« Tu es blessé ! cria
Miette.
– Non, non, répondit-il d'une voix étouffée, c'est un
gendarme que je viens de tuer.
– Est-ce qu'il est mort ! ?
– Je ne sais pas, il avait du sang plein la figure. Viens vite. » Il entraîna la jeune fille. Arrivé à
la halle, il la fit asseoir sur un banc de pierre. Il lui dit de l'attendre là. Il regardait toujours ses mains, il balbutiait. Miette finit par comprendre, à ses paroles entrecoupées, qu'il voulait aller embrasser sa grand-mère avant de partir.
« Eh bien ! va, dit-elle. Ne t'inquiète pas de moi. Lave tes mains
. »

La Fortune des Rougon
Émile Zola
1870
C'est à ce moment précis que Silvère entama le chemin qui devait le faire sortir de l'enfance, comme si, brutalement, la couleur, la température et l'odeur fade du sang de Rengade avaient constitué le philtre puissant qui le transformerait en homme. Avant cela, et malgré ses dix-sept ans déjà sonnés, Silvère était encore un petit garçon. Il avait vu apparaître sur son corps les signes qui distinguent l'enfant de l'adulte sans y prêter attention. Solitaire et élevé par sa grand-mère, il ne savait rien de ce qu'il est convenu d'appeler « les choses de la vie ». Il s'éloignait des garçons de son âge dès qu'ils abordaient leurs exploits réels ou supposés avec les filles. Il savait que certains allaient certains soirs dépenser leur argent près de la Viorne, sans qu'il sût vraiment ce qui s'y passait et sans qu'il cherchât à le savoir. Quand son oncle Antoine avait tenté de l'affranchir sur la conduite passée de sa grand-mère, celui-ci avait considéré que le jeune homme en savait davantage qu'il n'en savait en réalité. Il n'avait donc pas vraiment compris ce qu'il lui disait de ses aventures avec le contrebandier, si ce n'était qu'elles n'étaient pas consacrées par les liens du mariage, ce dont il se moquait bien. En effet, épris de liberté et d'égalité, il considérait le mariage avec suspicion, qu'il fût civil ou religieux. Certes, il avait vu des animaux se livrer à la copulation et il avait compris que cet acte engendrait, après un temps plus ou moins long selon les espèces, la naissance de petits. Il n'avait pas pensé qu'il en allait de même pour les humains. Ce n'était pas qu'il fût demeuré, mais il lui était impossible de se figurer les couples qu'il connaissait se mettre soudainement à se comporter comme les chiens et les chiennes, les chats et les chattes, les étalons et les juments. Le sang du gendarme Rengade agit sur lui comme une initiation.
Zola augmenté
Daniel Diégèse
2014
Il s'éloigna rapidement, tenant ses doigts écartés, sans songer à les tremper dans les fontaines auprès desquelles il passait. Depuis qu'il avait senti sur sa peau la tiédeur du sang de Rengade, une seule idée le poussait, courir auprès de tante Dide et se laver les mains dans l'auge du puits, au fond de la petite cour. Là seulement, il croyait pouvoir effacer ce sang. Toute son enfance paisible et tendre s'éveillait, il éprouvait un besoin irrésistible de se réfugier dans les jupes de sa grand-mère, ne fut-ce que pendant une minute. Il arriva haletant. Tante Dide n'était pas couchée, ce qui aurait surpris Silvère en tout autre moment. Mais il ne vit pas même, en entrant, son oncle Rougon, assis dans un coin, sur le vieux coffre. Il n'attendit pas les questions de la pauvre vieille.
« Grand-mère, dit-il rapidement, il faut me pardonner…
Je vais partir avec les autres…
Vous voyez, j'ai du sang… Je crois que j'ai tué un gendarme.
– Tu as tué un gendarme ! » répéta
tante Dide d'une voix étrange.
Des clartés aiguës s'allumaient dans ses yeux fixés sur les taches rouges
.

La Fortune des Rougon
Émile Zola
1870
La course de Silvère jusqu'à l'impasse Saint-Mittre était une course vers le passé. Souvent, celui qui vient de commettre un acte irréparable est pris de cette envie furieuse de retrouver le passé et pour cela de remonter le temps jusqu'au plus loin. Silvère agissait comme si le sang qu'il avait sur les mains était indélébile à moins qu'il ne fût lavé dans l'eau du puits de son enfance, chez sa grand-mère. Il cacha soudainement ses mains derrière son dos comme s'il avait honte du sang qui les souillait davantage que de l'acte qu'il pensait alors avoir commis. Son innocence était telle qu'il croyait vraiment qu'il avait tué le gendarme, comme si le sang avait éclaboussé ses yeux tout autant que ses mains et l'avait aveuglé. En cela, Silvère rejoignait les héros de la mythologie antique, pour qui le sang était un liquide magique doté de pouvoirs extravagants. Dans toutes les civilisations connues à 26, le sang, qu'il soit masculin ou féminin, qu'il soit versé ou qu'il coule dans les veines, possède des vertus différentes. Depuis que l'homme a compris que le sang était ce qui donnait vie et ce qui reprenait la vie, il le considère avec respect mais aussi avec crainte. De cette crainte et de ce respect mêlés, il fait des récits.
Zola augmenté
Daniel Diégèse
2014










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