Diégèse




samedi 6 décembre 2014



2014
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La Fortune des Rougon2




Le jour grandit, morne, avec ces mélancolies grises des matinées d'hiver. Les habitants n'entendant plus rien, las de trembler dans leurs draps, se hasardèrent. Il en vint dix à quinze ; puis, le bruit courant que les insurgés avaient pris la fuite, en laissant des morts dans tous les ruisseaux, Plassans entier se leva, descendit sur la place de l'Hôtel-de-Ville.
Pendant toute la matinée, les curieux défilèrent autour des quatre cadavres. Ils étaient horriblement mutilés, un surtout, qui avait trois balles dans la tête ; le crâne, soulevé, laissait voir la cervelle à nu. Mais le plus atroce des quatre était le garde
national tombé sous le porche ; il avait reçu en pleine figure toute une charge de ce plomb à perdrix dont s'étaient servis les républicains, faute de balles ; sa face trouée, criblée, suait le sang. La foule s'emplit les yeux de cette horreur, longuement, avec cette avidité des poltrons pour les spectacles ignobles. On reconnut le garde national ; c'était le charcutier Dubruel, celui que Roudier accusait, le lundi matin, d'avoir tiré avec une vivacité coupable. Des trois autres morts, deux étaient des ouvriers chapeliers ; le troisième resta inconnu. Et, devant les mares rouges qui tachaient le pavé, des groupes béants frissonnaient, regardant derrière eux d'un air de méfiance, comme si cette justice sommaire qui avait, dans les ténèbres, rétabli l'ordre à coups de fusil, les guettait, épiait leurs gestes et leurs paroles, prête à les fusiller à leur tour, s'ils ne baisaient pas avec enthousiasme la main qui venait de les sauver de la démagogie.

La Fortune des Rougon
Émile Zola
1870
Il n'y eut pas de monument pour le Républicain inconnu qui avait succombé sous la mitraille improvisée par les gardes nationaux, et il n'y en aura pas. Il n'avait peut-être aucune famille, ou en avait-il une, qui n'osa pas alors venir réclamer le corps du défunt de peur de possibles représailles. On voyait à son habillement qu'il était pauvre, mais cela ne constituait en aucune manière une quelconque surprise.Les insurgés sont rarement des rentiers, qui, si l'on touchait à leur rente, utiliseraient d'autres moyens de se révolter que de risquer leur vie en pleine nuit en allant faire le coup de feu. Mais aussi, les trompés et les trahis ne sont que bien rarement des bourgeois, qui ont plus l'habitude de tirer les ficelles que de jouer les marionnettes du pouvoir. Mais, ce qui était plus étonnant, c'était que ce Républicain inconnu avait la main crispée sur une petite croix de bois, toute malhabile, comme s'il l'avait lui-même confectionnée dans une solive abandonnée. Sentant sa vie le quitter, dans la soudaineté de la salve meurtrière, il avait eu ce réflexe poignant de serrer ce pauvre objet bricolé qui représentait pour lui ce qu'il y avait de plus grand. Certains, passant devant ce jeune croyant défunt, qui avait cru en même temps à Dieu et à l'homme, ne purent réprimer un frisson, espérant qu'ils le retrouveraient au Ciel, sachant que quiconque le retrouverait au Ciel serait avec lui au Paradis. Mais il ne fut même pas martyr, car les martyres se fabriquent avec des récits et il n'y avait aucun récit pour ce pauvre mort, ce pauvre mort de sa pauvreté et de sa grandeur.
Zola augmenté
Daniel Diégèse
2014










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