Diégèse




jeudi 30 janvier 2014



2014
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La Fortune des Rougon2




Rien de plus charmant, en vérité, que ces promenades d'amour. L'imagination câline et inventive du Midi est là tout entière. C'est une véritable mascarade, fertile en petits bonheurs et à la portée des misérables. L'amoureuse n'a qu'à ouvrir son vêtement, elle a un asile tout prêt pour son amoureux ; elle le cache sur son cœur, dans la tiédeur de ses habits, comme les petites bourgeoises cachent leurs galants sous les lits ou dans les armoires. Le fruit défendu prend ici une saveur particulièrement douce ; il se mange en plein air, au milieu des indifférents, le long des routes. Et ce qu'il y a d'exquis, ce qui donne une volupté pénétrante aux baisers échangés, ce doit être la certitude de pouvoir s'embrasser impunément devant le monde, de rester des soirées en public aux bras l'un de l'autre, sans courir le danger d'être reconnus et montrés au doigt. Un couple n'est plus qu'une masse brune, il ressemble à un autre couple. Pour le promeneur attardé qui voit vaguement ces masses se mouvoir, c'est l'amour qui passe, rien de plus ; l'amour sans nom, l'amour qu'on devine et qu'on ignore. Les amants se savent bien cachés ; ils causent à voix basse, ils sont chez eux ; le plus souvent ils ne disent rien, ils marchent pendant des heures, au hasard, heureux de se sentir serrés ensemble dans le même bout d'indienne. Cela est très voluptueux et très virginal à la fois. Le climat est le grand coupable ; lui seul a dû d'abord inviter les amants à prendre les coins des faubourgs pour retraites. Par les belles nuits d'été, on ne peut faire le tour de Plassans sans découvrir, dans l'ombre de chaque pan de mur, un couple encapuchonné ; certains endroits, l'aire de Saint-Mittre par exemple, sont peuplés de ces dominos sombres qui se frôlent lentement, sans bruit, au milieu des tiédeurs de la nuit sereine ; on dirait les invités d'un bal mystérieux que les étoiles donneraient aux amours des pauvres gens. Quand il fait trop chaud et que les jeunes filles n'ont plus leur pelisse, elles se contentent de retrousser leur première jupe. L'hiver, les plus amoureux se moquent des gelées.
La Fortune des Rougon
Émile Zola
1870
Nul père, nulle mère ne songerait à s'inquiéter de l'escapade de ces filles qui se débrouillent pour disparaître comme par enchantement et pour retrouver le logis familial avant que l'absence ne soit découverte. À moins, et c'est fort possible, que les mères, qui elles-mêmes ont emmitouflé dans leur pelisse, aux temps passés, un jeune gredin devenu leur mari, ne laissent faire leurs filles devenues grandes, se disant que jeunesse passe et doit passer. On trouve d'ailleurs, à bien y regarder, parmi les couples enlacés, des épouses et des époux qui, laissant la maisonnée à la garde des enfants les plus âgés, viennent goûter là, les nuits de pleine lune, les saveurs d'un temps passé qu'ils savent pourtant révolu. Parfois, une ombre plus fine se glisse. Ils ne sont pas deux. Elle est seule. C'est une femme qui vient marcher avec son deuil, celui d'un amant mort ou qui l'a quittée. Et les autres ombres s'écartent alors à son passage par crainte du mauvais œil qui détruit les amours. L'ombre esseulée erre quelques soirs et disparaît à jamais. L'amoureux est revenu. Un autre a pris sa place. Personne ne pourrait le dire. Les ombres ne parlent pas.
Miette et Silvère faisaient partie de ces amoureux que le froid ne parvenait pas à saisir, parmi les plus jeunes et déjà les plus endurcis. L'amour les liait mais les liait aussi le sentiment enraciné en eux de s'appartenir, et d'avoir destin commun. C'est ce que leur avaient dit les très anciens morts du vieux cimetière Saint Mittre qui avaient vu défiler devant eux de très nombreux amoureux. Parmi tous ces morts, témoins de leurs rencontres depuis quelques mois, il y avait quelques victimes d'un amour qui avait tourné vinaigre et certainement aussi, au grand dam de l'Église, quelque suicidé retrouvé pendu, et dont la mort avait été déguisée en accident, voire en mort naturelle, afin que l'âme du malheureux puisse trouver refuge en terre chrétienne. Il y avait aussi une ou deux jeunes défuntes de jadis, mortes de leur amour déçu, et que l'on avait couchées dans le froid de la terre seulement vêtues de leur pelisse, devenue ainsi leur linceul après avoir été un sanctuaire.

Zola augmenté
Daniel Diégèse
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