Diégèse | |||||||||
jeudi 31 juillet 2014 | 2014 | ||||||||
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La Fortune des Rougon2 | |||||||||
« Il
faudrait délibérer avant de prendre une décision, dit-il au
commandant. Ma femme
n'a peut-être pas tort, en nous accusant d'oublier
les véritables intérêts de nos familles. – Non, certes, madame n'a pas tort », s'écria Granoux, qui avait écouté les cris terrifiés de Félicité avec le ravissement d'un poltron. Le commandant enfonça son chapeau sur sa tête, d'un geste énergique, et dit, d'une voix nette : « Tort ou raison, peu importe. Je suis commandant de la garde nationale, je devrais déjà être à la mairie. Avouez que vous avez peur et que vous me laissez seul… Alors, bonsoir. » Il tournait le bouton de la porte, lorsque Rougon le retint vivement. « Écoutez, Sicardot », dit-il. Et il l'entraîna dans un coin, en voyant que Vuillet tendait ses larges oreilles. Là, à voix basse, il lui expliqua qu'il était de bonne guerre de laisser derrière les insurgés quelques hommes énergiques, qui pourraient rétablir l'ordre dans la ville. Et comme le farouche commandant s'entêtait à ne pas vouloir déserter son poste, il s'offrit pour se mettre à la tête du corps de réserve. « Donnez-moi, lui dit-il, la clef du hangar où sont les armes et les munitions, et faites dire à une cinquantaine de nos hommes de ne pas bouger jusqu'à ce que je les appelle. » Sicardot finit par consentir à ces mesures prudentes. Il lui confia la clef du hangar, comprenant lui-même l'inutilité présente de la résistance, mais voulant quand même payer de sa personne. Pendant cet entretien, le marquis murmura quelques mots d'un air fin à l'oreille de Félicité. Il la complimentait sans doute sur son coup de théâtre. La vieille femme ne put réprimer un léger sourire. Et comme Sicardot donnait une poignée de main à Rougon et se disposait à sortir : « Décidément, vous nous quittez ? lui demanda-t-elle en reprenant son air bouleversé. – Jamais un vieux soldat de Napoléon, répondit-il, ne se laissera intimider par la canaille. » Il l'était déjà sur le palier, lorsque Granoux se précipita et lui cria : « Si vous allez à la mairie, prévenez le maire de ce qui se passe. Moi, je cours chez ma femme pour la rassurer. » Félicité s'était à son tour penchée à l'oreille du marquis, en murmurant avec une joie discrète : « Ma foi ! j'aime mieux que ce diable de commandant aille se faire arrêter. Il a trop de zèle. » Cependant, Rougon avait ramené Granoux dans le salon. Roudier, qui, de son coin, suivait silencieusement la scène, en appuyant de signes énergiques les propositions de mesures prudentes, vint les retrouver. Quand le marquis et Vuillet se furent également levés : « A présent, dit Pierre, que nous sommes seuls, entre gens paisibles, je vous propose de nous cacher, afin d'éviter une arrestation certaine, et d'être libres, lorsque nous redeviendrons les plus forts. » Granoux faillit l'embrasser ; Roudier et Vuillet respirèrent plus à l'aise. « J'aurai prochainement besoin de vous, messieurs, continua le marchand d'huile avec importance. C'est à nous qu'est réservé l'honneur de rétablir l'ordre à Plassans. – Comptez sur nous », s'écria Vuillet avec un enthousiasme qui inquiéta félicité. |
Émile Zola 1870
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C'est qu'il ne fallait pas
que le parti religieux l'emportât sur
les autres partis réactionnaires. Ce n'était pas que Madame Rougon fût
en délicatesse avec la religion et le clergé. Elle faisait ses
dévotions très raisonnablement et tenait sa place à l'église, ni au
premier rang, ni au dernier. Il n'y avait en somme que la confession
qui lui posait problème. Ce n'était d'ailleurs pas qu'elle eût tant de
péchés à avouer et à se faire pardonner. C'est qu'elle avait beau
croire en Dieu et en son Église, elle ne pouvait s'empêcher de voir
derrière le prêtre qui entrait dans le confessionnal avec un air
compassé, un homme, le plus souvent rougeaud, qu'elle avait vu
plusieurs fois dans sa boutique ou dans celle de son père, se livrer au
péché de gourmandise. Enfin, elle n'accordait à Vuillet aucune
confiance et elle considérait que les détails de ses images pieuses
devaient bien recéler le diable. Dans les périodes troublées, les alliances bancales se révèlent pour ce qu'elles sont et les alliés d'un jour se surveillent et s'épient, avant de revenir tôt ou tard à l'état premier et naturel de leurs relations, qui est celle d'être ennemis. Il en va de cela, d'ailleurs, si l'on considère les relations de l'Église et de la bourgeoisie. La véritable alliée de l'Église était, depuis les premiers rois chrétiens, l'aristocratie. Le roi tenait son pouvoir temporel d'une onction intemporelle qui rejaillissait sur l'ensemble de la noblesse. En retour, l'Église bénissait et faisait de la politique et plaçait même ses prélats à la tête des gouvernements du royaume. Une fois l'aristocratie déchue, l'Église n'eut d'autre choix que de s'allier avec les nouveaux maîtres qui, dès qu'ils furent lassés de leurs atours révolutionnaires, revinrent eux aussi à leur véritable nature, qui était celle d'être de bons ou de moins bons bourgeois. Mais cette alliance n'est que d'apparence et il ne pourra jamais en être autrement. Rien ne saurait en effet conforter et réconforter la bourgeoisie dans la lecture des textes saints. Là où elle prêche la revanche, les textes imposent la réconciliation. Là où elle cherche le profit, les textes prônent le partage et la pauvreté. Et c'est sans doute l'un des plus grands mystères du christianisme, que celui d'être devenu l'étendard de gens en tous points éloignés de ce qu'ils devraient être s'ils obéissaient à la doctrine qu'ils professent. Ayant tenu Vuillet à distance, Félicité considéra son mari et ne put cacher un court instant un sentiment de fierté mêlé d'un brin d'incrédulité. Le gros homme, pleutre à l'évidence, se donnait des airs de chef et d'homme providentiel. Elle connaissait son Rougon, et plus aucune de ses faiblesses ne lui demeurait cachée. Elle savait par exemple qu'il n'avait aucune résistance à la douleur physique et elle l'avait vu, certains soirs, geindre et gémir à l'agonie pour un cor au pied. C'est d'ailleurs une des caractéristiques des hommes que de se jeter un jour dans une bataille où ils risquent un bras, mais de craindre le lendemain qu'on leur arrache un poil de leurs sourcils. Elle n'avait donc pas vraiment à craindre que Rougon se mît en avant et allât se faire tuer dans quelqu'échauffourée. Lorsqu'elle s'était pendue à son bras pour l'empêcher de sortir, elle n'avait senti chez lui qu'une bien molle résistance et il avait fallu tout son talent de comédienne pour que Sicardot crût un instant que la scène était véritable. Si les hommes étaient plus sages, ils mettraient les femmes à la tête de leurs armées. Elles feraient moins de guerre, les calmeraient de temps en temps, quand il le faudrait, à coup de manœuvres harassantes qui les épuiseraient et le tour serait joué. |
Daniel Diégèse 2014
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31 juillet | |||||||||
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