Diégèse




lundi 10 novembre 2014



2014
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La Fortune des Rougon2




Justement, ce matin-là, le jour avait des paresses, se traînait au bord de l'horizon. Le cou tendu, l'œil en arrêt, ils interrogeaient les blancheurs vagues. Et, dans l'ombre indécise, ils entrevoyaient des profils monstrueux, la plaine se changeait en lac de sang, les rochers en cadavres flottant à la surface, les bouquets d'arbres en bataillons encore menaçants et debout. Puis, lorsque les clartés croissantes eurent effacé ces fantômes, le jour se leva, si pâle, si triste, avec des mélancolies telles, que le marquis lui-même eut le cœur serré. On n'apercevait point d'insurgés, les routes étaient libres ; mais la vallée, toute grise, avait un aspect désert et morne de coupe-gorge. Les feux étaient éteints, les cloches sonnaient encore. Vers huit heures, Rougon distingua seulement une bande de quelques hommes qui s'éloignaient le long de la Viorne.
La Fortune des Rougon
Émile Zola
1870
Le jour est ainsi fait qu'il fait s'évanouir les fantasmagories des nuits. Ces profils monstrueux et ce lac de sang avaient-ils existé ? Ils se persuaderaient que non, que tout cela n'était que rêve, et ils en riraient ensuite ensemble quand ils se retrouveraient chez les Rougon. La bonne blague ! Toute une nuit sur la terrasse de l'hôtel Valqueyras à scruter les ombres ! Toute une nuit à voir des armées rangées et prêtes à l'embuscade ! Et Granoux qui claquait des dents ! Et Roudier qui tremblait ! Et selon que ce serait l'un ou l'autre qui raconterait l'histoire, ce serait l'un ou l'autre le pleutre et l'impressionné. Mais personne ne dirait que cette nuit-là, dans l'ombre et dans la brume, entendant les cloches du pays sonner le tocsin ou le glas, ils étaient plus proches de la réalité des faits qu'ils ne le seraient jamais par la suite.
Zola augmenté
Daniel Diégèse
2014
Ces messieurs étaient morts de froid et de fatigue. Ne voyant aucun péril immédiat, ils se décidèrent à aller prendre quelques heures de repos. Un garde national fut laissé sur la terrasse en sentinelle, avec ordre de courir prévenir Roudier, s'il apercevait au loin quelque bande.
Granoux et Rougon, brisés par les émotions de la nuit, regagnèrent leurs demeures, qui étaient voisines, en se soutenant mutuellement.
Félicité coucha son mari avec toutes sortes de précautions. Elle l'appelait « pauvre chat » ; elle lui répétait qu'il ne devait pas se frapper l'imagination comme cela, et que tout finirait bien. Mais lui secouait la tête ; il avait des craintes sérieuses. Elle le laissa dormir jusqu'à onze heures.

La Fortune des Rougon
Émile Zola
1870
Félicité aimait les moments où son mari dormait le matin. Elle entrait dans la chambre et elle le veillait comme s'il était mort. Elle se préparait doucement à l'état de veuve. Jamais elle n'avait imaginé d'ailleurs qu'elle pût mourir avant lui ; elle si vive, si alerte, lui si empâté, l'œil jaune et semblant proche de l'apoplexie. Elle imaginait déjà les cartes qu'elle ferait faire à l'imprimerie, se demandant si elle ferait inscrire le mot « veuve » en toutes lettres où si elle préfèrerait son abréviation. Elle alla même jusqu'à imaginer que Rougon pût être tué lors d'un affrontement avec les insurgés. Puis, elle se dit que s'il venait à mourir dans les heures qui venaient, elle crierait au martyre et irait demander réparation à la Nation pour la mort d'un héros de la patrie pour laquelle elle exigerait pension. Mais Rougon se réveilla et dit qu'il avait faim.
Zola augmenté
Daniel Diégèse
2014
Puis, quand il eut mangé, elle le mit doucement dehors, en lui faisant entendre qu'il fallait aller jusqu'au bout. À la mairie, Rougon ne trouva que quatre membres de la commission ; les autres se firent excuser ; ils étaient réellement malades. La panique, depuis le matin, soufflait sur la ville avec une violence plus âpre. Ces messieurs n'avaient pu garder pour eux le récit de la nuit mémorable passée sur la terrasse de l'hôtel Valqueyras. Leurs bonnes s'étaient empressées d'en répandre la nouvelle, en l'enjolivant de détails dramatiques. À cette heure, c'était chose acquise à l'histoire, qu'on avait vu dans la campagne, des hauteurs de Plassans, des danses de cannibales dévorant leurs prisonniers, des rondes de sorcières tournant autour de leurs marmites où bouillaient des enfants, d'interminables défilés de bandits dont les armes luisaient au clair de lune. Et l'on parlait des cloches qui sonnaient d'elles-mêmes le tocsin dans l'air désolé, et l'on affirmait que les insurgés avaient mis le feu aux forêts des environs, et que tout le pays flambait.
La Fortune des Rougon
Émile Zola
1870
Personne n'avait le courage de sortir pour aller vérifier. Personne ne mettait en doute ces récits de malheur, sauf peut-être les prêtres, trop habitués à raconter eux-même des contes pour effrayer leurs paroissiens, pour croire à ceux que l'on inventait, exactement comme le faussaire qui du premier coup d'œil reconnaît une copie qu'il n'a pourtant pas peinte lui-même. Si l'un de ces beaux messieurs avait eu l'esprit d'aller voir par lui-même, de sortir par les portes de la ville, grandes ouvertes, il aurait vu un matin froid de décembre, quand les brumes volettent au dessus des terres durcies. Il aurait croisé quelques femmes se tordant les mains, prises par l'angoisse de ne pas voir leur mari revenir, ni leurs fils ni leurs frères. Il aurait vu que les enfants ne jouaient plus dans les cours, consignés ès de l'âtre de peur qu'ils fussent absents si les gendarmes venaient annoncer la mauvaise nouvelle. Ils auraient vu un pays grave, abattu, résigné, en peine. Il aurait vu que le peuple avait dans les yeux cette tristesse des jours de défaite, quand il sait que la défaite va durer.
Zola augmenté
Daniel Diégèse
2014










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