Diégèse | |||||||||
dimanche 30 novembre 2014 | 2014 | ||||||||
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La Fortune des Rougon2 | |||||||||
Pour la troisième
fois, la nuit, la nuit pleine d'angoisse, tombait sur
Plassans. La ville
agonisante en était aux derniers râles. Les
bourgeois rentraient rapidement chez eux, les portes se barricadaient
avec un grand bruit de boulons et de barres de fer. Le sentiment
général semblait être que Plassans n'existerait plus le
lendemain,
qu'il se serait
abîmé sous terre ou évaporé dans le ciel. Quand Rougon
rentra pour dîner, il trouva les rues absolument désertes. Cette
solitude le rendit triste et mélancolique. Aussi, à la fin du repas,
eut-il une faiblesse, et demanda-t-il à sa femme s'il était nécessaire
de donner suite à l'insurrection que Macquart préparait. « On ne clabaude plus, dit-il. Si tu avais vu ces messieurs de la ville neuve, comme ils m'ont salué ! Ça ne me paraît guère utile maintenant de tuer du monde. Hein ! qu'en penses-tu ? Nous ferons notre pelote sans cela. – Ah ! quel mollasse tu es ! s'écria Félicité avec colère. C'est toi qui as eu l'idée, et voilà que tu recules ! Je te dis que tu ne feras jamais rien sans moi !… Va donc, va donc ton chemin. Est-ce que les républicains t'épargneraient s'ils te tenaient ? » |
Émile Zola 1870
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Il suffit de peu de choses pour faire plier les faibles : il suffit le plus souvent d'en appeler à leur faiblesse en la dénonçant. Le faible qui accepte sa faiblesse, considérant le monde avec apathie, comme une gigantesque entreprise de bruit et de fatigue, n'est pas dangereux. Aucun soubresaut à attendre de lui. Aucun démonstration de force qui viendrait contredire cette accusation de faiblesse. Mais, le faible qui se veut fort, et qui veut en conséquence démontrer sa force, celui-là est un danger terrible pour ses semblables, parce que ne connaissant pas vraiment l'usage de la force, il est prêt à faire tout ce qu'on lui proposera. De certains géants, de ces forces de la nature, on dit qu'ils ne connaissent pas leur force. On peut dire la même chose de certains mollasses qui ne se savent pas faibles et qui gagneraient en tout point à connaître leur faiblesse. Il avait suffi de peu de mots pour que Félicité relance Rougon sur le chemin de l'ignoble. Elle avait seulement retourné la situation dans l'imagination de son mari. Il s'était vu soudain dans les mains des républicains et soumis à la torture et cela avait suffi à le convaincre. |
Daniel Diégèse 2014
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Rougon, de
retour à la mairie, prépara le guet-apens.
Granoux lui fut
d'une grande
utilité. Il l'envoya porter ses ordres aux différents postes qui
gardaient les remparts ; les gardes nationaux devaient se rendre
à
l'hôtel de ville,
par petits groupes, le plus secrètement possible.
Roudier, ce
bourgeois parisien
égaré en province, qui aurait pu gâter
l'affaire en prêchant l'humanité, ne fut même pas averti. Vers onze heures, la cour de la mairie était pleine de gardes nationaux. Rougon les épouvanta ; il leur dit que les républicains restés à Plassans allaient tenter un coup de main désespéré, et il se fit un mérite d'avoir été prévenu à temps par sa police secrète. Puis, quand il eut tracé un tableau sanglant du massacre de la ville si ces misérables s'emparaient du pouvoir, il donna l'ordre de ne plus prononcer une parole et d'éteindre toutes les lumières. Lui même prit un fusil. Depuis le matin, il marchait comme dans un rêve ; il ne se reconnaissait plus il sentait derrière lui Félicité, aux mains de laquelle l'avait jeté la crise de la nuit, et il se serait laissé pendre en disant : « Ça ne fait rien, ma femme va venir me décrocher. » Pour augmenter le tapage et secouer une plus longue épouvante sur la ville endormie, il pria Granoux de se rendre à la cathédrale et de faire sonner le tocsin aux premiers coups de feu. Le nom du marquis devait lui ouvrir la porte du bedeau. Et, dans l'ombre, dans le silence noir de la cour, les gardes nationaux, que l'anxiété effarait, attendaient, les yeux fixés sur le porche, impatients de tirer, comme à l'affût d'une bande de loups. |
Émile Zola 1870
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Rougon
avait peur. C'était indéniable et tout, dans son caractère, le portait
à la crainte. Mais sa peur s'était muée en excitation, comme s'il avait
pris de ces drogues qui font perdre le jugement et le sens du danger et
que dans certains pays, on donne aux jeunes combattants pour qu'ils ne
ressentent plus la peur. On dit que les Gaulois usaient de plantes que
leurs sorciers, que l'on appelait druides, leur préparaient et qui les
rendaient insensibles aux parades effrayantes de leurs ennemis. La
drogue de Rougon, c'était Félicité. En somme, il craignait davantage
que sa femme le méprisât que de perdre la vie dans une échauffourée
préparée avec quelques républicains bernés par son demi frère. On peut
certes se gausser de Rougon, mais on a vu jusqu'au plus haut sommet de
l'État des hommes de pouvoir prendre des décisions pour ne pas déplaire
à leur belle. Qui écrira jamais l'histoire de France à l'aune des
alcôves et de l'influence occulte mais bien réelle du beau sexe sur sa
proie virile. Il y avait aussi chez Rougon une part de calcul. Une nuit
d'anxiété valait bien toute une vie de reproches. Car il était bien
certain que jamais Félicité ne lui pardonnerait si par malheur il
faiblissait. Il n'avait donc le choix. Rougon était acculé à sa propre
couardise et ce rencognement l'obligeait au courage. Dans le silence, avec ces hommes qu'il savait bernés par l'alliance ultime des deux branches ennemies de sa famille, il pensa soudainement à sa mère. C'était elle qui le gouvernait aussi. Il renaissait. |
Daniel Diégèse 2014
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30 novembre | |||||||||
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