Diégèse




samedi 11 octobre 2014



2014
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La Fortune des Rougon2




Quand les têtes des soldats apparurent au bord de l'esplanade, Silvère, d'un mouvement instinctif, se tourna vers Miette. Elle était là, grandie, le visage rose, dans les plis du drapeau rouge ; elle se haussait sur la pointe des pieds, pour voir la troupe ; une attente nerveuse faisait battre ses narines, montrait ses dents blanches de jeune loup dans la rougeur de ses lèvres. Silvère lui sourit. Et il n'avait pas tourné la tête, qu'une fusillade éclata. Les soldats, dont on ne voyait encore que les épaules, venaient de lâcher leur premier feu. Il lui sembla qu'un grand vent passait sur sa tête, tandis qu'une pluie de feuilles coupées par les balles tombaient des ormes. Un bruit sec, pareil à celui d'une branche morte qui se casse, le fit regarder à sa droite. Il vit par terre le grand bûcheron, celui dont la tête dépassait celle des autres, avec un petit trou noir au milieu du front. Alors il déchargea sa carabine devant lui, sans viser, puis il rechargea, tira de nouveau. Et cela, toujours, comme un furieux, comme une bête qui ne pense à rien, qui se dépêche de tuer. Il ne distinguait même plus les soldats ; des fumées flottaient sous les ormes, pareilles à des lambeaux de mousseline grise. Les feuilles continuaient à pleuvoir sur les insurgés, la troupe tirait trop haut. Par instants, dans les bruits déchirants de la fusillade, le jeune homme entendait un soupir, un râle sourd ; et il y avait dans la petite bande une poussée, comme pour faire de la place au malheureux qui tombait en se cramponnant aux épaules de ses voisins.
La Fortune des Rougon
Émile Zola
1870
Dans ces moments de guerre, dans ces moments de bataille, dans le tumulte, dans les cris, lorsque luttent côte à côte la peur et le courage, il devient perceptible, il devient même palpable que la vie et la mort sont une seule et même chose, que rien ne distingue vraiment, qu'une infime parcelle de ce que l'on nomme le temps. En temps de paix, dans le temps ordinaire de la paix, les hommes font durer ce qu'ils nomment le grand passage et la mort est préparée, elle est mise en scène, elle est appareillée. Le vieillard est posé sur un lit placé au milieu de la pièce, entouré des siens qui se pressent. Les voisins viennent et se signent, murmurant des prières votives, scrutant la face blême. Parfois, le vieillard grimace d'une douleur sourde. L'entourage frémit. Le moment est venu. Pourtant, la respiration sifflante s'apaise et reprend, ténue mais régulière. Ce n'est pas encore le moment. Enfin, vient le râle propitiatoire, et c'est le dernier soupir, et c'est la dernière peine. Les femmes les premières entonnent le sanglot des morts, puis viennent les enfants que l'on avait tenus à l'écart et que l'on approche maintenant du grabat avant de recouvrir en linceul le visage du mort. Les hommes ont l'air grave, leur béret dans une main, essuyant parfois une larme grosse et lourde avec une pudeur de vierge. Sous la mitraille, la mort  est ramenée à ce qu'elle est pour tous les vivants : un moment de la vie, qui dure ou plus ou moins selon les circonstances, comme durent plus ou moins, selon les circonstances, tous les autres moments.
Zola augmenté
Daniel Diégèse
2014










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