Diégèse




samedi 18 octobre 2014



2014
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La Fortune des Rougon2




Renversé sur un fauteuil, près de la fenêtre, en caleçon et la tête enveloppée d'un foulard, il geignait :
« Ah ! mes amis, si vous saviez !… J'ai essayé de me coucher ; mais ils faisaient un tapage ! Alors je me suis jeté dans ce fauteuil. J'ai tout vu, tout. Des figures atroces, une bande de
forçats échappés. Puis ils ont repassé ; ils entraînaient le brave commandant Sicardot, le digne M. Garçonnet, le directeur des postes, tous ces messieurs, en poussant des cris de cannibales !… » Rougon eut une joie chaude. Il fit répéter à Granoux qu'il avait bien vu le maire et les autres au milieu de ces brigands.
« Quand je vous le dis ! pleurait le bonhomme ; j'étais derrière
ma persienne… C'est comme M. Peirotte, ils sont venus l'arrêter ; je l'ai entendu qui disait, en passant sous ma fenêtre :  « Messieurs, ne me faites pas de mal. » Ils devaient le martyriser… C'est une honte, une honte… » Roudier calma Granoux en lui affirmant que la ville était libre. Aussi le digne homme fut-il pris d'une belle ardeur guerrière, lorsque Pierre lui apprit qu'il venait le chercher pour sauver Plassans. Les trois sauveurs délibérèrent. Ils résolurent d'aller éveiller chacun leurs amis et de leur donner rendez-vous dans le hangar, l'arsenal secret de la réaction. Rougon songeait toujours aux grands gestes de Félicité, flairant un péril quelque part. Granoux, assurément le plus bête des trois, fut le premier à trouver qu'il devait être resté des républicains dans la ville. Ce fut un trait de lumière, et Rougon, avec un pressentiment qui ne le trompa pas, se dit en lui-même :
« Il y a du
Macquart là-dessous. »

La Fortune des Rougon
Émile Zola
1870
C'était peut-être la première fois de sa vie que Pierre Rougon faisait preuve de cette forme d'intuition exacte qui vient de la justesse avérée d'une situation. Celle que Rougon et Macquart avaient mise en place depuis des années ne pouvait qu'aboutir à un affrontement. La terre eût-elle tremblé, jetant les habitants de Plassans dans les rues et les forçant à s'organiser pour déblayer les décombres de la ville que Rougon et Macquart se fussent saisis de cette occasion pour établir leur querelle sur un autre pied. L'un et l'autre eussent lutté à mort pour prendre la direction des secours et y gagner, au passage, au détriment de l'autre, quelque avantage durable, sonnant et trébuchant ou seulement symbolique. Ce qui rendait fascinante la haine féroce que les deux hommes se vouaient l'un à l'autre, c'était qu'aucun des deux ne pouvait sérieusement personnifier le bien. Aucun de leurs partisans respectifs n'avait d'ailleurs cette prétention. Ceux qui écoutaient Macquart dans les cafés en buvant de petites tasses laissaient souvent leur esprit vagabonder, lassés des logorrhées incessantes et des arguments ressassés. Quant aux habitués du salon jaune de Rougon, ils s'y rendaient faute de mieux, et surtout faute d'avoir pu convaincre des personnages plus puissants d'accueillir chez eux ce petit groupe réactionnaire et déjà frelaté. La lutte entre les deux demi-frères était humaine en cela qu'elle était impure, qu'elle ne suscitait chez ceux qui en étaient les spectateurs et qui l'alimentaient parfois, aucune sorte d'identification. Personne n'aimait vraiment ni Rougon, ni Macquart, de la même façon que les peuples n'aiment pas vraiment ni leurs dirigeants ni leurs opposants, doutant qu'ils veuillent chacun autre chose que les commander.
Zola augmenté
Daniel Diégèse
2014










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