Diégèse | |||||||||
vendredi 24 octobre 2014 | 2014 | ||||||||
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La Fortune des Rougon2 | |||||||||
Quand Pierre fut seul avec son
frère, il sentit tout son aplomb lui
revenir. Il reprit : « Vous ne m'attendiez guère, n'est-ce pas ? Je comprends maintenant : vous deviez avoir dressé quelque guet-apens chez moi. Malheureux ! voyez où vous ont conduit vos vices et vos désordres ! » Macquart haussa les épaules. « Tenez, répondit-il, fichez-moi la paix. Vous êtes un vieux coquin. Rira bien qui rira le dernier. » Rougon, qui n'avait pas de plan arrêté à son égard, le poussa dans un cabinet de toilette où M. Garçonnet venait se reposer parfois. Ce cabinet, éclairé par en haut, n'avait d'autre issue que la porte d'entrée. Il était meublé de quelques fauteuils, d'un divan et d'un lavabo de marbre. Pierre ferma la porte à double tour, après avoir délié à moitié les mains de son frère. On entendit ce dernier se jeter sur le divan, et il entonna le Ça ira ! d'une voix formidable, comme pour se bercer. |
Émile Zola 1870
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Le bravache a ceci de particulier qu'il demeurera frondeur dans toutes les circonstances et que, laissé seul, enfermé, sans spectateur, et sans moyen véritable, même, de se faire entendre, il continuera sans lassitude apparente de faire comme s'il était en public. Il en est ainsi d'hommes politiques qui, contraints par l'âge ou par le sort réservé à leur personne, de se retirer de la vie publique, continuent avec leur famille, dans toutes les circonstances de la vie domestique, de se comporter comme s'il avaient une tribune. Les plus âgés de la famille, prévenus comme on l'est dans les familles de l'affection d'un malade que l'on ne doit pas contrarier, ne disent rien et font même semblant d'écouter. Les plus jeunes, et surtout les enfants, expriment en riant la joie que ressentent les enfants quand un adulte crée pour lui-même des situations imaginaires, comme eux-mêmes savent jouer très bien de très nombreux rôles de rois, de reines, de princes et de princesses. Macquart était de ceux-là et, sans assistance, dans son Cabinet, il était encore maire de Plassans. |
Daniel Diégèse 2014
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Rougon, seul enfin, s'assit à son tour dans le fauteuil du maire. Il poussa un soupir, il s'essuya le front. Que la conquête de la fortune et des honneurs était rude ! Enfin, il touchait au but, il sentait le fauteuil moelleux s'enfoncer sous lui, il caressait de la main, d'un geste machinal, le bureau d'acajou, qu'il trouvait soyeux et délicat comme la peau d'une jolie femme. Et il se carra davantage, il prit la pose digne que Macquart avait un instant auparavant, en écoutant la lecture de la proclamation. Autour de lui, le silence du cabinet lui semblait prendre une gravité religieuse qui lui pénétrait l'âme d'une divine volupté. Il n'était pas jusqu'à l'odeur de poussière et de vieux papiers, traînant dans les coins, qui ne montât comme un encens à ses narines dilatées. Cette pièce, aux tentures fanées, puant les affaires étroites, les soucis misérables d'une municipalité de troisième ordre, était un temple dont il devenait le dieu. Il entrait dans quelque chose de sacré. Lui qui, au fond, n'aimait pas les prêtres, il se rappela l'émotion délicieuse de sa première communion quand il avait cru avaler Jésus. |
Émile Zola 1870
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Les deux frères avaient cela de semblable que dans le même fauteuil, ils rêvaient de jouir du même pouvoir. Les peuples devraient d'ailleurs mieux y réfléchir. Ceux qui vivent en démocratie et qui élisent en conséquence leurs représentants devraient prendre en considération que les fauteuils qu'on prête aux édiles dans les palais publics sont dotés de pouvoirs particuliers, insidieux et puissants qui transforment leurs locataires jusqu'à faire prendre à celui-ci, qui était plutôt un esprit fort, des mesures propres à rassurer la calotte ; à celui-ci qui voulait partager les terres un abattement sur l'impôt pour ceux qui élèvent des clôtures. Les lieux de pouvoir ont une âme et il faudrait un contrôle assidu de ceux à qui le peuple confie la souveraineté nationale pour contrer la forme d'envoutement que provoque un fauteuil doré, des huissiers pour ouvrir et fermer les portes, introduire les visiteurs. Macquart ou Rougon, les deux coquins étaient en fait les mêmes, aspirant au même pouvoir, et comptant bien l'exercer de façon assez semblable, c'est à dire à leur propre avantage. |
Daniel Diégèse 2014
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24 octobre | |||||||||
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