Diégèse




samedi 25 octobre 2014



2014
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La Fortune des Rougon2




Mais, dans son ravissement, il éprouvait de petits soubresauts nerveux, à chaque éclat de voix de Macquart. Les mots d'aristocrate, de lanterne, les menaces de pendaison, lui arrivaient par souffles violents à travers la porte, et coupaient d'une façon désagréable son rêve triomphant. Toujours cet homme ! Et son rêve, qui lui montrait Plassans à ses pieds, s'achevait par la vision brusque de la cour d'assises, des juges, des jurés et du public, écoutant les révélations honteuses de Macquart, l'histoire des cinquante mille francs et les autres ; ou bien, tout en goûtant la mollesse du fauteuil de M. Garçonnet, il se voyait tout d'un coup pendu à une lanterne de la rue de la Banne. Qui donc le débarrasserait de ce misérable ? Enfin Antoine s'endormit. Pierre eut dix bonnes minutes d'extase pure.
La Fortune des Rougon
Émile Zola
1870
Il n'avait jamais été aussi heureux et bien et ne le serait jamais plus de cette façon de toute sa vie. Même dans son souvenir, ces instants ne seront plus jamais aussi parfaits qu'ils l'auront été au moment même où il les vivait. Plus tard, il y aurait autour de ce souvenir la connaissance des événements qui se déroulaient, plus loin, à Sainte-Roure et, dans son égoïsme, il en éprouverait cependant, sinon du chagrin, un peu de contrariété. Le souvenir est en cela comme le rêve, qu'il mêle, emmêle, à satiété, des éléments de temps, des personnes et des situations qui, dans les faits, ne se sont pas déroulés en même temps et dans de mêmes circonstances. Plus tard, dans son souvenir, Macquart dans le cabinet, serait indissociablement lié avec Peirotte et avec Silvère, et d'autres morts encore qu'il ne connaissait point.
Zola augmenté
Daniel Diégèse
2014
Roudier et Granoux vinrent le tirer de cette béatitude. Ils arrivaient de la prison, où ils avaient conduit les insurgés.
Le jour grandissait, la ville allait s'éveiller, il s'agissait de prendre un parti
. Roudier déclara qu'avant tout il serait bon d'adresser une proclamation aux habitants. Pierre, justement, lisait celle que les insurgés avaient laissée sur une table.
« Mais, s'écria-t-il, voilà qui nous convient parfaitement.
Il n'y a que quelques mots à changer. » Et, en effet, un quart d'heure suffit, au bout duquel
Granoux lut, d'une voix émue :
« Habitants
de Plassans, l'heure de la résistance a sonné, le règne de l'ordre est revenu… » Il fut décidé que l'imprimerie de la Gazette imprimerait la proclamation, et qu'on l'afficherait à tous les coins de rue.

La Fortune des Rougon
Émile Zola
1870
Les proclamations adressées au peuple se ressemblent toutes et Rougon avait raison de ne vouloir changer que quelques mots à celle que les insurgés républicains avaient trouvés quelques heures auparavant. Il y est toujours en effet question de quelque chose qu'il faudrait rétablir mais qui, dans les faits, n'a jamais parfaitement existé. Ici, ce seront les libertés des citoyens, l'égalité et la fraternité entre eux, que, pourtant, la république n'a eu de cesse de bafouer pendant qu'elle existait. Là, ce seront l'ordre et une supposée justice, et le droit rétabli, sans préciser que ce sera le droit du plus fort sur le plus faible et le justice de l'arbitraire rendue sous le sceptre de l'iniquité. Toutes ces déclarations forment un genre, comme le roman et le théâtre sont aussi des genres. On pourrait les collecter et les étudier afin d'en extraire une forme de grammaire qui pourrait aider les apprentis en politique.
Zola augmenté
Daniel Diégèse
2014
« Maintenant, écoutez, dit Rougon, nous allons nous rendre chez moi ; pendant ce temps, M. Granoux réunira ici les membres du conseil municipal qui n'ont pas été arrêtés, et leur racontera les terribles événements de cette nuit. » Puis il ajouta, avec majesté :
« Je suis tout prêt à accepter la responsabilité de mes actes. Si ce que j'ai déjà fait paraît un gage suffisant de mon amour de l'ordre, je consens à me mettre à la tête d'une commission
municipale, jusqu'à ce que les autorités régulières puissent être rétablies. Mais, pour qu'on ne m'accuse pas d'ambition, je ne rentrerai à la mairie que rappelé par les instances de mes concitoyens. »

La Fortune des Rougon
Émile Zola
1870
Les raisons pour lesquelles Rougon, qui, à cet instant comme en de nombreux instants de sa vie, n'était qu'ambition, de cette ambition qui ronge un homme d'autant plus qu'à bien y regarder elle est mesquine et ridicule, sont assez faciles à déceler et à interpréter. Rougon, par devers lui, savait qu'il n'avait rien fait et qu'il n'avait été que le jouet du sort. Serait-il parti un peu plus tard, ou rentré un peu plus tôt chez lui, n'aurait-il pas vu Félicité à sa fenêtre, ni tiré par inadvertance dans la glace de l'hôtel de ville, que son sort en aurait été bien différent et surtout, fort différent. Ce serait peut-être lui qui serait enfermé dans le cabinet du maire, attendant dans l'angoisse qu'on vînt le libérer. Cela suffisait à le rendre modeste.
Zola augmenté
Daniel Diégèse
2014
Granoux et Roudier se récrièrent. Plassans ne serait pas ingrat. Car enfin leur ami avait sauvé la ville. Et ils rappelèrent tout ce qu'il avait fait pour la cause de l'ordre : le salon jaune toujours ouvert aux amis du pouvoir, la bonne parole portée dans les trois quartiers, le dépôt d'armes dont l'idée lui appartenait, et surtout cette nuit mémorable, cette nuit de prudence et d'héroïsme, dans laquelle il s'était illustré à jamais. Granoux ajouta qu'il était sûr d'avance de l'admiration et de la reconnaissance de messieurs les conseillers municipaux. Il conclut en disant :
« Ne bougez pas de chez vous ; je veux aller vous chercher et vous ramener en triomphe
. »

La Fortune des Rougon
Émile Zola
1870
Quelle que fût la pleutrerie de Rougon, ses acolytes l'étaient encore davantage, car, il fallait sérieusement manquer de courage et d'ambition pour choisir comme chef et comme représentant municipal un homme qui, somme toute, n'avait quasiment rien fait. Mais, l'issue de toute l'aventure était encore incertaine. Ou, tout au moins, le croyaient-ils encore, par manque de jugeote, par manque d'analyse et aussi par manque d'informations. Viendra certainement le temps où les modes d'information seront plus développés et où chacun pourra connaître instantanément ce qui se passe partout dans le monde. Cela, pour autant, ne changera certainement rien au courage des uns, à la veulerie des autres.
Zola augmenté
Daniel Diégèse
2014
Roudier dit encore qu'il comprenait, d'ailleurs, le tact, la modestie de leur ami, et qu'il l'approuvait. Personne, certes, ne songerait à l'accuser d'ambition, mais on sentirait la délicatesse qu'il mettait à ne vouloir rien être sans l'assentiment de ses concitoyens. Cela était très digne, très noble, tout à fait grand. Sous cette pluie d'éloges, Rougon baissait humblement la tête. Il murmurait : « Non, non, vous allez trop loin », avec de petites pâmoisons d'homme chatouillé voluptueusement.
Chaque phrase du
bonnetier retiré et de l'ancien marchand d'amandes, placés l'un à sa droite, l'autre à sa gauche, lui passait suavement sur la face ; et, renversé dans le fauteuil du maire, pénétré par les senteurs administratives du cabinet, il saluait à gauche, à droite, avec des allures de prince prétendant dont un coup d'État va faire un empereur.

La Fortune des Rougon
Émile Zola
1870
La scène était grotesque et à la pensée qu'elle se répétait de manière semblable dans de très nombreuses sous-préfectures du pays qui, toutes ou presque ont de ces bourgeois frileux et pleins de componction  prêts à braver le danger quand il s'est éloigné et à en tirer une gloire toute aussi locale qu'éphémère. Il en est de même les soirs d'élection où dans chaque canton des élus fraichement sortis d'urnes encore fumantes des votes de bons citoyens se font acclamer par une petite troupe en liesse, parlant de batailles gagnées et de victoires méritées. Il faut voir alors ces proches du nouveau pouvoir se collant au vainqueur dans l'espoir des faveurs qu'ils ne vont pas tarder à solliciter. La sagesse voudrait que l'on s'éloignât d'un tel spectacle qui fait désespérer de la nature humaine qui répète sans cesse et sans vergogne les mêmes insultes à la dignité.
Zola augmenté
Daniel Diégèse
2014
Quand ils furent las de s'encenser, ils descendirent. Granoux partit à la recherche du conseil municipal. Roudier dit à Rougon d'aller en avant ; il le rejoindrait chez lui, après avoir donné les ordres nécessaires pour la garde de la mairie. Le jour grandissait. Pierre gagna la rue de la Banne, en faisant sonner militairement ses talons sur les trottoirs encore déserts. Il tenait son chapeau à la main, malgré le froid vif ; des bouffées d'orgueil lui jetaient tout le sang au visage.
Au bas de l'escalier, il trouva
Cassoute. Le terrassier n'avait pas bougé, n'ayant vu rentrer personne. Il était là, sur la première marche, sa grosse tête entre les mains, regardant fixement devant lui, avec le regard vide et l'entêtement muet d'un chien fidèle.
« Vous m'attendiez, n'est-ce pas ? lui dit Pierre, qui comprit tout en l'apercevant. Eh bien ! allez dire à M. Macquart que je suis rentré. Demandez-le à la mairie. » Cassoute se leva et se retira, en saluant gauchement. Il alla se faire arrêter comme un mouton, pour la grande réjouissance de Pierre, qui riait tout seul en montant l'escalier, surpris de lui-même, ayant vaguement cette pensée :
« J'ai du courage, aurais-je de l'esprit
 ? »

La Fortune des Rougon
Émile Zola
1870
Ce n'était cependant pas de l'esprit mais le métier d'édile qui commençait à rentrer. Il est aisé de constater que la fonction fait l'homme plus que l'homme fait jamais la fonction. Tel bon bourgeois tranquille, qui n'a jamais un mot plus haut que l'autre, qui ne rit jamais aux plaisanteries parce qu'il ne les comprend pas ou, lorsqu'il les comprend, ne les trouve pas drôles ; celui-là, devenu maire, député ou sénateur, ou mieux encore, ministre, devient alors tout autre. Le moindre de ses gestes s'empreint de componction, en public, mais aussi jusque dans le secret de son cabinet de toilette. Il salue dans la rue avec parcimonie, mais, arrêté par un passant, il écoute sa supplique, la tête légèrement penchée, tête qu'il hoche doucement comme si son cou avait depuis son accession découvert des ressorts jusqu'alors celés. Rougon avait ainsi envoyé ce brave terrassier manipulé par son frère se faire arrêter sans aucune forme de compassion. Ce Cassoute, pour lui, n'existait seulement pas. Et c'est une autre caractéristique de l'homme politique que de considérer l'humanité séparée en deux camps : ceux qui peuvent lui être utiles et ceux, au contraire, qui lui sont opposés et de n'avoir pour ces derniers que la seule ambition de les vaincre sans surtout tenter de les comprendre.
Zola augmenté
Daniel Diégèse
2014










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