Diégèse




lundi 27 octobre 2014



2014
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La Fortune des Rougon2




La porte s'ouvrit, Vuillet entra. Il salua humblement, avec son clignement de paupières, son sourire pincé de sacristain. Puis il vint tendre sa main humide à Rougon et aux deux autres. Vuillet avait fait ses petites affaires tout seul. Il s'était taillé lui-même sa part du gâteau, comme aurait dit Félicité. Il avait vu, par le soupirail de sa cave, les insurgés venir arrêter le directeur des postes, dont les bureaux étaient voisins de sa librairie. Aussi, dès le matin, à l'heure même où Rougon s'asseyait dans le fauteuil du maire, était-il allé s'installer tranquillement dans le cabinet du directeur. Il connaissait les employés ; il les avait reçus à leur arrivée, en leur disant qu'il remplacerait leur chef jusqu'à son retour, et qu'ils n'eussent à s'inquiéter de rien.
Puis il avait fouillé le courrier du matin avec une curiosité mal dissimulée ; il flairait les lettres ; il semblait en chercher une particulièrement. Sans doute sa situation nouvelle répondait à un de ses plans secrets, car il alla, dans son contentement, jusqu'à donner à un de ses employés un exemplaire
des œuvres badines de Piron. Vuillet avait un fonds très assorti de livres obscènes, qu'il cachait dans un grand tiroir, sous une couche de chapelets et d'images saintes ; c'était lui qui inondait la ville de photographies et de gravures honteuses, sans que cela nuisît le moins du monde à la vente des paroissiens. Cependant il dut s'effrayer, dans la matinée, de la façon cavalière dont il s'était emparé de l'hôtel des postes. Il songea à faire ratifier son usurpation. Et c'est pourquoi il accourait chez Rougon, qui devenait décidément un puissant personnage.
« Où
êtes-vous donc passé ? » lui demanda Félicité d'un air méfiant.
Alors il conta son histoire, qu'il enjoliva. Selon lui, il avait sauvé
l'hôtel des postes du pillage.
« Eh bien, c'est entendu, restez-y ! dit
Pierre après avoir réfléchi un moment. Rendez-vous utile. » Cette dernière phrase indiquait la grande terreur des Rougon ; ils avaient peur qu'on ne se rendît trop utile, qu'on ne sauvât la ville plus qu'eux. Mais Pierre n'avait trouvé aucun péril sérieux à laisser Vuillet directeur intérimaire des postes ; c'était même une façon de s'en débarrasser. Félicité eut un vif mouvement de contrariété.

La Fortune des Rougon
Émile Zola
1870
Vuillet à l'hôtel des postes, c'était laisser un enfant gourmand seul dans un magasin de sucreries. Félicité n'avait aucune confiance en ce personnage plein de componction, suant l'envie, l'œil torve de désirs mal contenus. Il était l'exemple même de la personne à qui, sans avoir à y réfléchir, on n'aimerait pas confier ses enfants, pris d'une vague crainte et de doutes sur sa moralité. Mais Félicité n'avait pas d'enfants à confier à la garde de quiconque et ce qu'elle craignait de l'odieux personnage n'était pas de cet ordre. Tenir l'hôtel des postes, c'était tenir le lieu par lequel pouvaient arriver des informations secrètes qui pouvaient donner un avantage certain à ceux qui les obtiendraient. C'était d'ailleurs pour cela que Vuillet avait choisi ce poste, d'ailleurs plus par curiosité que pour échafauder des stratagèmes. On rencontre ainsi parfois de ces personnes qui veulent savoir les choses pour seulement les savoir et qui, les sachant, n'en font rien, sinon les répéter le moment venu et dire qu'ils le savaient. D'autres veulent savoir pour prendre un temps d'avance. D'autres encore, pour tenter de réagir. Vuillet, lui, comme d'autres, pratiquait l'information comme un péché solitaire. Cependant, Félicité craignait que Vuillet pût donner à d'autres qu'à son mari et à elle-même toute information cruciale pour le sort de Plassans et de la France. La place des Rougon tenait encore à bien peu de choses et  il n'aurait pas été si difficile de la leur prendre. Félicité décida donc de le placer sous haute surveillance et se promit d'aller lui rendre visite aussi tôt que possible à l'hôtel des postes et surtout, aussi souvent que possible.
Que se passerait-il si chacun pouvait disposer en permanence de toute l'information ? On sait que de tout temps, le pouvoir s'est assis sur le commerce des nouvelles, censurant la presse et lui délivrant parfois de fausses informations pour calmer le peuple ou le conduire à faire ce que ce même pouvoir souhaitait qu'il fît. Si demain, chacun savait ce qu'il fallait savoir, dans une totale transparence, alors, l'exercice du pouvoir s'en trouverait forcément modifié. Il n'y aura jamais de véritable débat démocratique s'il n'y a pas de totale liberté d'information. C'est un principe qui a été posé depuis longtemps et qui ne s'est pas démenti, même si il est aisé de constater que jamais, jusqu'à maintenant, il n'a été parfaitement appliqué.

Zola augmenté
Daniel Diégèse
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