Diégèse




jeudi 4 août 2016



2016
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#Péguy-Pasolini - les textes de Diégèse 2016 -










Seulement il faudrait peut-être considérer qu'il était sans prix.
Car il était mort avant d'être mort. Israël1 une fois de plus, Israël poursuivait ses destinées temporellement éternelles. Il est extrêmement remarquable que le seul journal où on ait jamais traité dignement notre ami, je veux dire selon sa dignité, selon sa grandeur, selon sa mesure, dans son ordre de grandeur, où on l'ait traité en ennemi sans doute, violemment, âprement, comme un ennemi, mais enfin à sa mesure, où on l'ait considéré à la mesure de sa grandeur, où on ait dit, en termes ennemis, mais enfin où on ait dit combien il aimait Israël et combien il était grand fut la Libre Parole, et que le seul homme qui l'ait dit fut M. Édouard Drumont. C'est une honte pour nous que le nom de Bernard-Lazare, depuis cinq ans, sept ans qu'il est mort, n'ait jamais figuré que dans son journal ennemi. Je ne parle pas des cahiers, dont il demeure l'ami intérieur, l'inspirateur secret, je dirai très volontiers, et très exactement, le patron. En dehors de nous, je dis très limitativement, comme on dit dans le droit, en dehors de nous des cahiers, il n'y a que M. Edouard Drumont qui ait su parler de Bernard-Lazare, qui ait voulu en parler, qui lui ait fait sa mesure. Les autres, les nôtres se taisaient dès avant sa mort, se sont tus depuis avec un soin honteux, avec une perfection, avec une patience, avec une réussite extraordinaire. Et il était mort avant d'être mort. Ils avaient comme honte de lui. Mais en réalité c'étaient eux qui avaient honte d'eux devant lui. C'étaient les politiciens, c'était la politique même qui avait honte de soi devant la mystique.

Dans l'édition du journal Libération du 9 juin 2016, la philosophe et psychanalyste Anne Dufourmantelle affirme que la sublimation a vécu au profit du déni et du passage à l'acte. Je ne crois pas qu'elle ait raison, car, la société de consommation, ou, pour reprendre le néologisme utilisé dans un autre texte, la société « lucrativiste », celle qui commercialise les passions humaines les plus immatérielles, peut très bien s'accommoder du sublime, et en faire commerce, et d'ailleurs elle le fait. Quand tout va bien, c'est à dire quand on appartient à la bourgeoisie blanche occidentale, le système lucrativiste va proposer pour chaque âge de la vie, et en fonction des possibilités physiques de chacun, de « se dépasser », et, par là-même, d'atteindre le sublime. Et ce sont des voyages, et c'est du canyoning, et ce sont des paysages ou de la plongée sous-marine. Mais cela peut être aussi un cours fameux de cuisine exotique et hypo-calorique. Pour ce qui est des pulsions, il y a les sites de rencontre et les Pokemons. Cela, c'est quand tout va bien. Mais, quand tout va moins bien, pour ceux qui naissent dans une périphérie économiquement et culturellement reléguée, et que ce sont pourtant les mêmes formes - somme toute dérisoires - de sublime et de sublimation qui sont proposées, la tentation peut survenir de revenir à des formes éprouvées de la sublimation, et c'est la religion, et c'est le rite, et c'est l'observance... Les actes terroristes, tels qu'ont les a vus depuis quelques mois, sont donc à la fois sublimation et passage à l'acte. Les considérer seulement comme tel ou tel est une erreur qui entame la capacité de les comprendre et de les prévenir. Et c'est là qu'apparaît le point de retournement. Les images et les gestes qui accompagnent ces sublimations morbides sont pour autant directement issus des produits et des sous-produits de l'industrie culturelle qui brade un sublime de pacotille : c'est la mise en scène macabre de décapitations montée comme un film ou une série télévisée. De même, les assassinats de masse sont instantanément engloutis par la politique locale et les échanges financiers internationaux. Sublimation peut-être, passage à l'acte, certainement, mais que cela n'aille pas coûter un point de croissance.
Charles Péguy - Notre Jeunesse  -
Péguy-Pasolini #14 - Diégèse 2016
1. Il convient ici de rappeler que Péguy écrit Notre jeunesse en 1910, avant de mourir dans les premiers combats de 1914. Il a été l'un des premiers défenseurs de Dreyfus, et Notre jeunesse, pamphlet politique qui oppose la mystique à la politique  se fonde sur le souvenir des luttes pour Dreyfus. Il ne faudrait donc pas lire le texte de Péguy à la lumière des  événements qui se sont déroulés lors de la montée du fascisme et du nazisme et de l'antisémitisme des années 1930, de la shoah et de la création de l'État hébreu. Ce serait évidemment un contresens.















4 août







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