Diégèse




vendredi 19 août 2016



2016
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#Péguy-Pasolini - les textes de Diégèse 2016 -










Ceux qu'il avait sauvés étaient les plus pressés. Lui-même le savait très bien. On a beau savoir aussi que c'est la règle. À chaque fois c'est toujours nouveau. Et c'est toujours dur à avaler.
Lui-même il ne se faisait aucune illusion sur les hommes qu'il avait défendus. Il voyait partout les politiques, les hommes politiques arriver, dévorer tout, dévorer, déshonorer son œuvre. Je dirai tout ce qu'il m'a dit. Il atteignait, il obtenait une profondeur de sentiment(s), une profondeur de regret incroyable, il parvenait à ces profondeurs de bonté douce incroyables qui ne peuvent être qu'à base de désabusement. Une petite minorité, un petit groupe, une immense majorité de juifs1 pauvres (il y en a, beaucoup), de misérables (il y en a, beaucoup), lui demeuraient fidèles, lui étaient attachés d'un attachement, d'un amour fanatique, qu'exaspéraient de jour en jour les approches de la mort. Ceux-là l'aimaient. Nous l'aimions. Les riches ne l'aimaient déjà plus. Je dirai donc quel fut son enterrement. Je dirai quelle fut toute sa fin. Je dirai combien il souffrit. Je dirai, dans ces confessions, combien il se tut.
Je vois encore sur moi son regard de myope, si intelligent et ensemble si bon, d'une si invincible, si intelligente, si éclairée, si éclairante, si lumineuse douceur, d'une si inlassable, si renseignée, si éclairée, si désabusée, si incurable bonté. Parce qu'un homme porte un binocle bien planté sur un nez gras barrant, vitrant deux bons gros yeux de myope, le moderne ne sait pas reconnaître, il ne sait pas voir le regard, le feu allumé il y a cinquante siècles. Mais moi je l'ai approché. Seul j'ai vécu dans son intimité et dans sa confidence. Il fallait écouter, il fallait voir cet homme qui naturellement se croyait un moderne. Il fallait regarder ce regard, il fallait entendre cette voix. Naturellement il était très sincèrement athée. Ce n'était pas alors la métaphysique dominante seulement, c'était la métaphysique ambiante, celle que l'on respirait, une sorte de métaphysique climatérique, atmosphérique ; qui allait de soi, comme d'être bien élevé ; et en outre il était entendu, positivement, scientifiquement, victorieusement, que ce n'était pas, qu'elle n'était pas une métaphysique ; il était positiviste, scientificiste, intellectuel, moderne, enfin tout ce qu'il faut ; surtout il ne voulait pas entendre parler de métaphysique(s).

Il y a celles et ceux qui soutiennent l'interdiction du « burkini » au profit qu'il s'agirait d'un asservissement de la femme. Autre tartufferie. Par une sorte de court-circuit spatio-temporel tels que le permettent et l'encouragent les réseaux sociaux, cette interdiction scélérate est assimilée aux images des femmes syriennes brûlant leur voile intégral dans les villes libérées du joug islamiste. Il faut mieux y réfléchir. En fait, dans cette affaire, on confond deux choses qui sont cependant distinctes et qu'il faut impérativement laisser distinctes : le « burkini » et « l'interdiction du burkini ». On peut contester le bien fondé du premier en étant farouchement opposé au second. Car, en fait, et bien au contraire, c'est par féminisme et par militantisme féministe qu'il faut dénoncer cette interdiction. Si l'on considère que le « burkini » est un signe d'asservissement de la femme, ce n'est pas par une mesure de réclusion des femmes que l'objectif politique de leur libération sera atteint. D'ailleurs, s'il s'agissait de juguler la diffusion de l'islam radical dans l'espace public, comme on peut supposer que les maris, frères, cousins, oncles des femmes en « burkini » sont en « qamis », il faudrait donc aussi interdire les « qamis » sur les plages.  Or, je n'ai pas lu qu'il y eût des arrêtés anti « qamis ». Certes, ce serait impraticable. Heureusement ! On verrait beaucoup trop qu'il s'agit en fait d'arrêtés anti arabes. Quant à l'affaire corse, il suffit de voir sortir de garde à vue les petites frappes du village sous les hourras de leur famille pour comprendre qu'ils n'ont pas attendu le supposé « burkini » de la plage de Sisco, qui serait d'ailleurs imaginaire, pour avoir envie de jeter les Arabes à la mer. Ce sont d'ailleurs leurs semblables qui traquent les touristes qui « ne sont pas chez eux » et ne dédaignent pas, si l'occasion s'en présentent, à « casser du pédé ». Il n'est pas certain que les Corses nationalistes aient des leçons à donner sur la libération de la femme. Ils ont reproché aux familles musulmanes d'avoir voulu « privatiser » la plage et le procureur a, complaisamment, repris le terme. De la part de gens qui veulent privatiser l'île entière, c'est quand même un comble... Enfin, il y a ceux qui demandent aux musulmans de la « discrétion ». Il suffit de se rappeler que c'est aussi ce qu'on a dit pendant des siècles aux homosexuels : « vous pourriez être discrets ! », pour percevoir immédiatement que c'est franchement dégueulasse, et comme aurait dit Flaubert, « Tout le monde plie les reins devant la plus ignominieuse bêtise qu'on ait rêvée. »
Charles Péguy - Notre Jeunesse  -
Tout petit petit burkini - Péguy-Pasolini #15 - Diégèse 2016
1. Il convient ici de rappeler que Péguy écrit Notre jeunesse en 1910, avant de mourir dans les premiers combats de 1914. Il a été l'un des premiers défenseurs de Dreyfus, et Notre jeunesse, pamphlet politique qui oppose la mystique à la politique  se fonde sur le souvenir des luttes pour Dreyfus. Il ne faudrait donc pas lire le texte de Péguy à la lumière des  événements qui se sont déroulés lors de la montée du fascisme et du nazisme et de l'antisémitisme des années 1930, de la shoah et de la création de l'État hébreu. Ce serait évidemment un contresens.















19 août







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