Diégèse




mercredi 13 avril 2016



2016
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#Péguy-Pasolini - les textes de Diégèse 2016 -










Premièrement : l'absence totale de toute forme d'amour. Il y a quelques rares allusions à la foi et à l'espérance, mais purement formelles et verbales ; et même, à dire vrai, on ne s'occupe d'elles que dans les formulaires, qui du reste sont étrangement brefs et laconiques. Le caractère sacerdotal de ces allusions fugitives et cyniquement expéditives rapproche ces sentences des déclarations officielles les plus obtuses des rotes (le toutes les classes sacerdotales au pouvoir. Soit. Mais l'absence totale d'amour dans l'examen de cas pour lesquels il serait par définition nécessaire ne peut pas nous apparaître comme un fait prévisible et normal. C'est une offense brutale à cette dignité humaine qui n'est même pas prise en considération. L'expérience humaine sur laquelle ces sentences se fondent pour examiner les cas est parfaitement antireligieuse ; le pessimisme de son pragmatisme est sans fond. La vie intérieure des hommes est réduite au pur calcul, ou à une misérable réserve mentale, ce à quoi s'ajoutent, naturellement, les actes, mais dans leur pure nudité formelle.
Deuxième raison de scandale : l'absence totale de toute forme de culture. Les rédacteurs de ces sentences semblent ne connaître rien d'autre que les hommes qu'ils voient dans un horrible enchevêtrement d'actes dictés par de mauvais sentiments ou par d'infantiles intérêts — et, quant aux livres, seulement ceux de droit canon et de saint Thomas. Si, par hasard, ils s'occupent de « problèmes culturels » (c'est ainsi que dans l'une de ces sentences on parle, par exemple, de dannunzianisme), ils le font comme si les problèmes culturels étaient des « faits », parfaitement pragmatisés par leur valeur publique et sociale. Par ailleurs, si l'on examine ces textes d'un point de vue linguistique et stylistique, ils ne rappellent rien à personne. Leur latin semble appris directement dans une grammaire qui donne comme exemples des passages d'auteurs ajustés d'une façon complètement incohérente. On ne pourrait, en effet, faire aucune citation à propos des textes de ces sentences. Aucune exégèse ne serait possible. Ils semblent être nés d'eux-mêmes. L'interprétation purement pragmatique (sans amour) des actions humaines dérive donc, en conclusion, de cette absence de culture ou, à tout le moins, de cette culture purement formelle et pratique. Une telle absence de culture devient, elle aussi, une offense à la dignité humaine quand elle se manifeste explicitement comme mépris de la culture moderne et, par ailleurs, n'exprime que la violence et l'ignorance d'un monde répressif comme totalité.

Il y a donc bien un double rapport de force qui s'est engagé entre les pouvoirs constitués, que l'on nomme habituellement « le pouvoir », et le mouvement qui se fait appeler « Nuit debout » : un rapport de force sur la place de la République et un autre, dans l'espace médiatique. Dans l'espace physique de la place parisienne, et sur d'autres places en France, l'un des instruments de la lutte est, bien sûr, l'usage des forces de l'ordre, mais aussi l'usage de la ruse juridique. On imaginerait que l'usage de la ruse, s'agissant du droit, n'est pas chose possible, n'est pas chose souhaitable, voire même chose impossible. Le droit serait le droit. Certes, il y a des usagers, des citoyens et des concitoyens qui, au quotidien, rusent avec la chose juridique et trouvent des accommodements. Mais, s'agissant de l'occupation de la place, les manifestants répondent par le droit à la ruse, dans une situation qui s'est donc inversée. Ce faisant, le pouvoir doit avoir conscience - mais il ne l'a pas - qu'il perd beaucoup, qu'il perd énormément, car, il perd dans l'ordre des échanges symboliques. Un pouvoir qui ruse avec la réglementation, ruse avec le droit, et se place en conséquence en dehors du droit. Il serait presque préférable d'interdire, et de trouver des raisons juridiquement fondées pour ce faire, sans ruse.
Le second rapport de force oppose, dans l'espace médiatique, la « Nuit debout » aux « Papiers de Panama ». Sur le front panaméen, le combat s'essouffle singulièrement. Le maître mot de ce milieu de semaine semble bien être « perquisition », comme si ce mot de « perquisition » recelait en lui-même un pouvoir magique, comme si « perquisition » était une sorte de super-héros des mots. Dans l'espace médiatique, la « perquisition », c'est le bras armé de la justice, c'est l'outil invincible qui va rétablir l'ordre. Ainsi, le Ministère public panaméen effectue une « perquisition » au siège de la société d'avocats au cœur des fameux Papiers de Panama ; au siège et aussi dans certaines de ses filiales. L'heure est grave. D'ailleurs, le Président panaméen proteste contre l'inscription de son pays sur la liste des paradis fiscaux. Il est vrai que c'est particulièrement injuste puisqu'il a fait la preuve qu'il pouvait faire usage de la « perquisition ». Ainsi, le pouvoir panaméen aussi ruse.
Que conclure ? Quand les pouvoirs constitués rusent et que les gens font des ateliers d'écriture de la Constitution, c'est peut-être qu'il se passe quelque chose qui ressemble à une révolution. Pendant que les pouvoirs perquisitionnent pour trouver ce que tout le monde sait déjà, les gens cherchent à inventer l'avenir éclairci du monde.
Pas d'amour, pas de culture : un langage sans origine
Pier Paolo Pasolini - Écrits corsaires

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Péguy-Pasolini #08 - Diégèse 2016










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Il s'agissait d'écrire une histoire.