Diégèse




vendredi 16 décembre 2016



2016
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#Péguy-Pasolini - les textes de Diégèse 2016 -










Je n'ai jamais vu un homme croire, à ce point, avoir à ce point la certitude, avoir conscience à ce point qu'une conscience d'homme était un absolu, un invincible, un éternel, un libre, qu'elle s'opposait victorieuse, éternellement triomphante, à toutes les grandeurs de la terre. Il ne faut pas recevoir des justifications semblables, écrivait encore Bernard-Lazare, même et surtout quand elles sont données par Jaurès, car, au-dessous, d'autres sont prêts à les interpréter dans un sens pire, à en tirer des conséquences redoutables pour la liberté. Il énumérait, sur quelques exemples éclatants, dans un style éclatant, coupant, bref, quelques-unes de ces antinomies, les capitales, quelques-uns de ces antagonismes. Il te prévoyait, Bernus, et la résistance du peuple polonais aux exactions de la germanisation prussienne. Dès lors il écrivait en effet, et ces paroles sont claires, elles sont capitales, elles sont actuelles comme au premier jour : si nous n'y prenons garde, demain on nous mettra en demeure d'applaudir le gendarme français qui prendra l'enfant par le bras pour l'obliger à entrer dans l'école laïque, tandis que nous devrons réprouver le gendarme prussien contraignant l'écolier polonais de Wreschen. Voilà l'homme, voilà l'ami que nous avons perdu. Il écrivait encore, et ces paroles sont à considérer, elles sont à méditer aujourd'hui comme hier, aujourd'hui comme alors, elles seront à méditer toujours, car elles sont d'une hauteur de vues, d'une portée incalculable : « Que demain on nous propose les moyens de résoudre la question de l'enseignement et nous la discuterons. Dès aujourd'hui on peut dire que le monopole universitaire n'en est pas la solution. Nous nous refuserons aussi bien à accepter les dogmes formulés par l'État enseignant, que les dogmes formulés par l'Église. Nous n'avons pas plus confiance en l'Université qu'en la Congrégation. » Mais il faut que je m'arrête de citer.
Regarder ailleurs, ce n'est ni refuser de considérer la peine, ni tenter d'oublier la peine, mais c'est refuser de consommer l'émotion pré-mâchée qui est proposée, qui est vendue, qui est écoulée par les médias, par le personnel politique. On a fait ces dernières années, depuis l'an 2000, peut-être, de la tour Eiffel l'étendard de l'émotion collective. Une nuit, on l'allume, une nuit on l'éteint, on change de couleurs, tous les drapeaux sont disponibles. La tour Eiffel est devenue une mire, le symbole d'une société où l'on demande au peuple, avant de l'exiger, de regarder dans la même direction, mû par la même émotion. C'est peut-être tout ce qu'il reste de la vieille culture catholique de l'absolution. La tour Eiffel est éteinte, j'ai une pensée pour le peuple syrien, les habitants d'Alep, comme jadis on bâclait ses prières avant d'aller se coucher après avoir jeté un coup d'œil sur le crucifix accroché au-dessus du lit.
Alors, si je devais considérer la situation syrienne aujourd'hui, je ne me désintéresserais pas d'Alep, mais je regarderais un peu à côté. Je regarderais Idlib, cette petite ville ronde, plate, entourée de champs plats, traversée par la route qui conduit à la mer, au port de Lattaquié. Je lis que les habitants d'Alep qui sont évacués le sont vers Idlib. Serait-ce en temps normal que la ville ne pourrait accueillir autant de réfugiés, ne disposant d'aucune infrastructure qui le permettrait. Et puis, aucune ville de Syrie ne peut être plus facilement encerclée qu'Idlib. L'idée que les habitants d'Alep sont dirigés vers Idlib est très angoissante. Auparavant, seuls ceux qui connaissaient un peu la Syrie avaient entendu son nom. Avec la guerre civile, on l'avait vu apparaître plusieurs fois, comme le nom de l'un des bastions des opposants au régime. Est-ce que demain ce nom restera comme celui du plus horrible massacre de ce début de siècle ?
Charles Péguy - Notre Jeunesse  -
Regarder ailleurs - Péguy-Pasolini #24 - Texte continu










16 décembre






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