Et
vint 1968. Les chevelus furent absorbés par le mouvement
étudiant ;
ils s'agitèrent sur les barricades avec des drapeaux rouges. Leur
langage exprima de plus en plus de « choses » de gauche (Che
Guevara
avait les cheveux longs, etc.).
En 1969 - avec le massacre de Milan, la mafia, les émissaires des
colonels grecs, la complicité des ministres, le complot noir, les
provocateurs - les gens à cheveux longs avaient énormément grandi en
nombre : quoiqu'ils ne fussent pas encore numériquement
majoritaires,
ils l'étaient pourtant à cause du poids idéologique qu'ils avaient
pris. Maintenant, ils n'étaient plus silencieux : ils ne
déléguaient
plus au système par signes de leurs cheveux leur entière capacité de
communication et d'expression. Au contraire, la présence physique des
cheveux prenait, d'une certaine façon, une autre valeur. L'usage
traditionnel du langage verbal était de nouveau entré en fonction. Je
ne dis pas « verbal » par pu hasard. Au contraire, je le
souligne. On a
beaucoup parlé de 68 à 70 ! A tel point que l'on pourra s'en
passer
pendant quelques temps ; on a donné libre cours au
verbalisme ; et le
verbalisme est devenu le nouvel ars rethorica de la révolution
(gauchisme, maladie verbale du marxisme !). |
Quand j'évoque un « triangle sémiotique », il ne s'agit
évidemment pas de celui, fondateur, d'Odgen et Richards, mais d'un
triangle bricolé pour les besoins de ce texte. Ce qui fait triangle,
c'est que chacun des trois éléments est lié avec les deux autres, mais
aussi qu'il est mis en tension avec les deux autres. Si l'on admet que
chaque pointe du triangle peut être, selon les individus, plus ou moins
pondéré, on obtient un triangle déformable, qui ne sera donc pas
nécessairement isocèle, et encore moins équilatéral. Cette pondération
individuelle peut donc, par addition et moyenne, être appliquée à un
groupe constitué. Chaque groupe peut ainsi être associé à une forme de
triangle particulier et l'observation de ces triangles permettrait
d'affirmer ou non que les groupes se ressemblent, au-delà de leurs
différences sociologiques et historiques.
Bien sûr, je ne ferai pas ce travail, qui serait un travail
scientifique, qui demanderait une méthodologie éprouvée et explicitée,
alors, que ce qui me plaît, dans ce triangle, c'est le triangle, c'est
qu'en soi, par sa seule existence de triangle, sa forme, il apporte la
preuve que le triangle sémiotique que je bricole existe lui aussi. Il
s'agit bien de trafic ontologique. La poésie n'est peut-être rien
d'autre qu'un trafic ontologique revendiqué.
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