Diégèse




mardi 14 juin 2016



2016
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#Péguy-Pasolini - les textes de Diégèse 2016 -










8 juillet 1974
Étroitesse de l'histoire et immensité du monde paysan1

Cher Calvino,
Maurizio Ferrara dit que je regrette un « âge d'or », toi, tu dis que je regrette l'« Italietta2 ». Tout le monde dit que je regrette quelque chose, en faisant de ce regret une valeur négative, et, donc une cible, facile.
Ce que je regrette (si tant est que l'on puisse parler de regret), je l'ai dit clairement, et même en vers (Paese sera, 5-1-1974). Que d'autres aient fait semblant de ne pas comprendre, c'est naturel, mais je m'étonne que tu n'aies pas voulu comprendre, toi qui n'as aucune raisons pour cela. Moi, regretter l' « Italietta » ? Mais alors tu n'as pas lu un seul vers de Ceneri di Gramsci ou de Calderon, tu n'as pas lu une seule ligne de mes romans, tu n'as pas vu une seule photo de mes films, tu ne sais rien de moi ! Car tout ce que j'ai fait, tout ce que je suis, exclut de par sa nature même que je puisse regrette l'Italietta. Mais tu considères peut-être que j'ai changé du tout au tout, ce qui fait partie de la psychologie miraculistique des Italiens mais qui, justement, me, semble indigne de toi.

Qu'est-ce que « regretter » ? L'étymologie renvoie à la lamentation du deuil, aux pleurs sur les défunts. Ce serait donc seulement par extension que le terme s'associe à cette « douleur du retour » que l'on nomme « nostalgie ». C'est bien là le sens de ces « regrets éternels » que l'on inscrit sur les tombes, sur ces plaques gravées que l'on trouve dans tous les cimetières. Je suis au regret. Je suis en grand regret et ce regret ne procède pas de la nostalgie. Ce que je regrette et ce qui m'inquiète, ce sont ces coïncidences du temps, ces meurtres revendiqués, ce temps profondément troublé. Le passé, je ne le regrette donc pas, mais je m'en souviens. Il y a des jours où l'actualité déborde l'écriture, elle la tétanise. Il y a des jours où il paraît impossible de ne pas en parler, et tout autant impossible d'en parler. Ne pas en parler, ce serait comme revendiquer la cécité. En parler, c'est être certain, ou presque, d'écrire des bêtises. Et pourtant, ces morts appellent, et leurs meurtriers aussi appellent. Ils appellent le regret. Il faudra donc en parler. Pourtant, les faits, dans leur gravité terrible, appellent le silence, le silence du deuil, et les pleurs du regret.
Alors, il faudra bien se détacher du terme « regret » pour commencer à pouvoir en parler et trouver d'autres termes qui permettront de dévider l'écriture : « identité » ; « communauté » ; « fonction » ; ce seront les trois premiers termes que je choisirai pour commencer à cerner ce regret, à l'entourer, pour le consoler et pour le dépasser aussi.
Étroitesse de l'histoire et immensité du monde paysan - Pier Paolo Pasolini
Écrits corsaires

diégèse 2016 - Péguy-Pasolini #12-
1 Paese sera, sous le titre de : « Lettre ouverte à Italo Calvino : Pasolini : ce que je regrette »
2 Ce, mot désigne l'Italie depuis 1945 jusqu'à la période actuelle de « développement »
















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