Dans tout cela, la responsabilité de la télévision est énorme, non pas,
certes, en tant que « moyen technique », mais en tant qu'instrument de
pouvoir et pouvoir elle-même. Car elle n'est pas seulement un lieu à
travers lequel circulent les messages, mais aussi un centre
d'élaboration de messages. Elle constitue le lieu où se concrétise une
mentalité qui, sans elle, ne saurait où se loger. C'est à travers
l'esprit de la télévision que se manifeste concrètement l'esprit du
nouveau pouvoir.
Nul doute (les résultats le prouvent) que la télévision soit
autoritaire et répressive comme jamais aucun moyen d'information au
monde ne l'a été. Le journal fasciste et les inscriptions de slogans
mussoliniens sur les fermes font rire à côté : comme (douloureusement)
la charrue à côté du tracteur. Le fascisme, je tiens à le répéter, n'a
pas même, au fond, été capable d'égratigner l'âme du peuple italien,
tandis que le nouveau fascisme, grâce aux nouveaux moyens de
communication et d'information (surtout, justement, la télévision), l'a
non seulement égratignée, mais encore lacérée, violée, souillée à
jamais...
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Dès lors, il faudrait pouvoir concevoir la culture populaire, la
culture du peuple, la culture contemporaine du peuple, la culture du
peuple d'aujourd'hui, autrement que dans une relation de pouvoir,
autrement que dans une relation marchande et autrement que par une
approche folkloriste politicienne. En conséquence, il ne s'agirait plus
seulement de faire
accéder le peuple aux pratiques culturelles de la bourgeoisie, de lui
faire consommer des produits culturels plus ou moins avariés, ni de le
renvoyer à un folklore qui n'a existé que dans les albums nostalgiques
du dix-neuvième siècle. Il s'agirait donc de prendre une position qui
ne soit pas populariste, ni, a fortiori, populiste. Il s'agirait
d'admettre que le peuple peut faire de grandes choses, avoir de grandes
aspirations, qu'il peut déterminer ses choix autrement que par les
injonctions publicitaires et les effets de notoriétés artificiellement
fabriquées. Il s'agirait donc de croire, de croire vraiment, de croire
philosophiquement et surtout de croire politiquement à la démocratie et
d'affirmer, et de prouver que cette démocratie est une démocratie
culturelle. Alors, peut-être, serait-il possible de commencer à
penser ce qu'est la culture du peuple de France en 2016. |