Diégèse




samedi 24 septembre 2016



2016
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#Péguy-Pasolini - les textes de Diégèse 2016 -










Nullement, comme on pourrait le croire, d'abord, comme un premier examen, superficiel, hâtif, pourrait d'abord le laisser supposer, en vieux singes revêtus de la simarre et de l'hermine. On sentait si bien qu'il savait que lui Bernard-Lazare il avait fait marcher ces gens-là, qu'on les ferait marcher encore, et que lui Bernard-Lazare on ne le ferait jamais marcher, que ces gens-là surtout ne le feraient jamais marcher. Qu'il avait temporellement fait marcher tout le monde ; et que tout le monde ne le ferait jamais spirituellement marcher. Pour lui ce n'était pas, ce ne serait jamais la plus haute autorité du royaume, la plus haute autorité judiciaire, la plus haute juridiction du royaume, le plus haut magistrat de la République. C'étaient des vieux juges. Et il savait bien ce que : c'était qu'un vieux juge. On sentait si bien qu'il savait qu'il avait fait marcher ces gens-là, et qu'ils ne le feraient jamais marcher. Quand l'autre fut parti : Vous l'avez vu, me dit-il en riant. Il était rigolo avec 'sa' Cour de Cassation. Notez qu'il était, et très délibérément contre les lois Waldeck même. Contre la loi Waldeck. Mais enfin, puisqu'il y avait une loi Waldeck, il voulait, il fallait qu'on s'y tînt juridiquement. Et même loyalement. Qu'on l'appliquât, qu'on l'interprétât comme elle était. Il n'aimait pas l'État. Mais enfin puisqu'il y avait un État, et qu'on ne pouvait pas faire autrement, il voulait au moins que le même État qui fît une loi fût le même aussi qui l'appliquât. Que l'État ne se dérobât point et ne changeât point de nom et de statut entre les deux, qu'il ne fît point ceci sous un nom et qu'il ne le défît point sous un autre, sous un deuxième nom. il voulait au moins que l'État fût, au moins quelques années, constant avec lui-même.
Dans une longue et parfois confuse intervention en Belgique en 2012, le philosophe Bernard Stiegler explique qu'il n'y a pas de mot dans la langue anglaise pour traduire correctement le mot français bêtise, qui ne se traduit donc que par stupidity, perdant ainsi la référence à la bête. Je ne suis pas convaincu par son raisonnement, ni par sa conclusion. L'anglais, plutôt que de se concentrer sur ce qui est perçu : la bêtise, focalise sur l'effet produit par l'acte perçu comme bête : la stupeur. Est bête ce qui nous stupéfie. On peut être étonné par l'intelligence, on n'en sera pas stupéfait. Seule la bêtise est stupéfiante. L'être humain qui fait une bêtise, est soudain perçu comme bête et fait l'objet d'une métamorphose. Plutôt que bête et seulement bête, il en devient un monstre. Ce n'est d'ailleurs qu'au quatorzième siècle que les Métamorphoses d'Ovide sont traduites sous le titre d'Ovide moralisé, pas très longtemps avant que le mot bêtise entre dans la langue française. Le bête est monstrueux, et c'est ainsi que bêtise relève à la fois de la métaphore et de la métamorphose. Ceci est d'ailleurs traduit communément dans les publicités ou les bandes dessinées dans lesquelles un humain s'adonnant à la bêtise sera montré comme transformé ou se transformant en animal. On dessinera ainsi facilement, par exemple, un chauffard grillant un feu rouge à vive allure comme un sanglier. Il sera difficile ensuite pour qui aura vu le dessin de voir autrement les conducteurs se livrant à ce genre de bêtises bêtes. Les exclamations que provoque la bêtise de l'autre portent la marque de ce déplacement du réel, de cette métamorphose. Il n'est ainsi pas rare de s'entendre dire, confronté à la bêtise : « c'est incroyable ! c'est invraisemblable, ce n'est pas possible ! ».
Charles Péguy - Notre Jeunesse  -
Péguy-Pasolini #18 - Texte continu










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