Diégèse




dimanche 5 mai 2019



2019
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Les mains ouvertes 125



Noëmie Diégèse














Monsieur B. est professeur de Français dans un collège de la Creuse. Il a choisi la Creuse pour terminer sa carrière, car, dit-il, quand les temps se font incertains, le plateau de Millevaches est un des meilleurs endroits de France pour se mettre en sécurité. Monsieur B. le dit avec le sourire, mais, il le pense sincèrement. Il n'y avait pas d'attaches particulières, mais, un été, au hasard d'une promenade, il a traversé la commune de Gentioux-Pigerolles et s'est arrêté, intrigué par un monument aux morts qui ne ressemblait pas à ceux qu'il avait croisés jusqu'alors. S'approchant, il a pu lire l'inscription désignée du poing par la statue d'un enfant habillé comme un écolier de ce temps-là et portant des sabots paysans : « Maudite soit la guerre ». L'enfant a retiré sa casquette qui pend à son bras gauche. Sur le monument, on peut lire le nom de cinquante-huit hommes morts pendant les combats de la première guerre mondiale. Le monument a été édifié en 1922, mais il aura fallu attendre 1985 pour qu'il soit inauguré. Cependant, sur l'autre face, les noms des morts de la seconde guerre mondiale ont été gravés. La commune avait l'habitude de voir partir ses hommes, qui s'employaient depuis le Moyen-âge en tant que maçons. Il y avait aussi les incessantes guerres.

De retour chez lui, après les vacances, il a pris la décision de se porter candidat pour enseigner dans un collège ou un lycée creusois dès qu'un poste se libèrerait. C'est ainsi qu'il a rejoint le collège Jacques-Grancher de Felletin. Felletin se trouve à une vingtaine de kilomètres de Gentioux-Pigerolles, au nord-est. Au nord-ouest, de l'autre côté du lac artificiel de Vassivière, se trouve Peyrat-le-Château. C'est dans cette commune que le peintre et photographe dadaïste allemand Raoul Hausmann s'est réfugié, fuyant le nazisme. Depuis 1997, on peut visiter le musée de la résistance créé en l'honneur de la Première brigade de Marche Limousine des Francs Tireurs Partisans du Colonel Guingouin. C'est un petit musée qui ne comporte que trois salles. En 2016, le maire de la commune de Peyrat-le-Château s'est porté volontaire auprès de la préfecture pour accueillir dans le Centre communal d'action sociale des migrants expulsés des abords de Calais, de ce lieu injustement nommé « la Jungle ». Cette action lui a valu les foudres des réseaux d'extrême droite de la France entière, et au-delà.

Avec la vente de son appartement parisien de deux pièces, Monsieur B. a pu acheter une assez grande maison entre Felletin et Peyrat-le-Château. Il y a aménagé des chambres et y accueille des familles réfugiées. Il n'en fait aucune publicité. Un ancien tunnel rend possible la fuite en cas de descente policière. On raconte dans le village que ce tunnel a sauvé des résistants pendant la guerre. Monsieur B. n'a pas cherché à savoir si c'était vrai.

Monsieur B. fait parfois lire des textes de Péguy à ses élèves :

La charité, dit Dieu, ça ne m’étonne pas. Ça n’est pas étonnant. Ces pauvres créatures sont si malheureuses qu’à moins d’avoir un cœur de pierre, comment n’auraient-elles point charité les unes des autres. Comment n’auraient-ils point charité de leur frères. Comment ne se retireraient-ils point le pain de la bouche, le pain de chaque jour, pour le donner à de malheureux enfants qui passent.

Tant pis si Le Porche du mystère de la deuxième vertu n'est pas au programme et que cela le fait regarder bizarrement par certains de ses collègues, qui n'ont pas lu Péguy. Ils ne savent souvent pas que la deuxième vertu, c'est l'espérance et non la charité.









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4e de couverture






Noëmie Diégèse est allée à la rencontre, partout en Europe, de celles et de ceux qui accueillent des familles migrantes. Elle raconte ce qu'elle a vu et ce qu'elle a entendu. Elle a choisi de passer sous silence les motivations morales ou religieuses  qui animent celles et ceux qui agissent ainsi, ce qui leur attire parfois des déboires avec les autorités de leur pays.

Se dessine ainsi, à la lecture de ce texte photographies de paysages, une autre carte de l'Europe que celle des traités et du libre-échange. On y décèle une internationale de la pauvreté et de la compassion qui dépasse les religions, les rites, les coutumes et les langues.

Ce livre fait du bien et peut tout à la fois rendre triste. on le referme perplexe sur sa propre action et sur sa propre capacité à accueillir.

Il suffirait pourtant d'ouvrir un peu les mains, avant même d'ouvrir le cœur, sans se poser de questions inutiles. Le faire seulement, dans cette humanité commune.










5 mai







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