Au large, veillent les îles de Tremiti, dont San Nicola et San Domino, la plus grande. Nous nous sommes promis, il y a bien longtemps, de louer un bateau pour aller sur ces îles, anciennement nommées îles de Diomède. C'est à San Domino que Mussolini déporta dès les années 1930 les hommes accusés d'être homosexuels. Sans électricité ni eau courante, ces hommes vivaient sous la surveillance constante de policiers qui les accablaient souvent d'injures. Mais la vie était-elle plus dure sur l'île pour ces hommes qu'elle ne l'était dans les villes et les villages de l'Italie fasciste où, ce qui avait été tu mais toléré depuis des siècles était soudainement mis à l'index sur fond d'exaltation d'une virilité douteuse ? Sur une image d'archive, on voit un bal. Des hommes, dont beaucoup portent une casquette d'ouvrier, dansent par couples. Sans doute surpris par le flash du photographe, c'est la crainte qui transparaît dans les regards tournés vers l'objectif.
Nous n'irons sans doute pas cette année encore ni à San Nicola ni à San Domino.
Nous sommes partis ce matin, très tôt pour marcher avant qu'il ne fasse trop chaud le long du lac de Varano. Nous avons laissé la voiture de location sur le parking de Beny, restaurant où l'on célèbre baptêmes, mariages et anniversaires et même parfois des enterrements. Nous avons suivi à pied le largolungo, la petite route côtière du lac. Cette route est parsemée d'encombrants et d'édicules précaires, dépendances improvisées des cabanons devenus maisons de l'autre côté de la route. Mais, ce sont les filets séchant sur les clôtures et attendant d'être rapiécés qui ont retenu toute notre attention. Tu m'as dit qu'ils étaient comme nos mémoires. Tu aimes toujours faire de la littérature.
Pourtant, ce n'est pas une réconciliation bénigne. Il ne s'agit pas d'effacer une brouille de pacotille, de celles que l'on répare d'un dîner dans un bon restaurant ou d'un week-end au bord de la mer. Ils sont fâchés et séparés depuis vingt ans. Et cela fait vingt ans qu'ils ne se sont pas vus.
Comment se réconcilier après tout ce temps ? Pourront-ils retrouver la piste du désir ? Ou bien, est-ce que ce sera justement par le désir qu'ils pourront se réconcilier ?
Ce qui est certain, c'est que le dernier roman de Noëmie Diégèse pourrait réconcilier toutes celles et tous ceux qui sont fâchés avec le roman. On se laisse prendre par le charme de l'écriture et par celui de ces personnages dont on ne saura rien ou presque, sinon qu'ils sont timides, après tout ce temps, sinon qu'ils ont été amoureux, d'un amour si fort qu'il les brûle encore.