Diégèse




mardi 5 novembre 2019



2019
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Mais tu étais l'été 309



Noëmie Diégèse














Sylvie sourit. Il la regarde avec cet air tendre qui l'a séduite il y a quelques mois déjà. Elle sait qu'il va lui demander pourquoi elle sourit. C'est moins qu'il est curieux de savoir ce qui la fait sourire qu'il a envie de l'entendre parler de lui. Il soupçonne que c'est lui qui la fait sourire et il adore qu'elle lui parle de lui. Après quelques mois, l'imprévisibilité des relations de couple est à moitié éteinte. Et encore, elle ne l'est qu'à moitié quand il reste un peu de désir. Et puis il est vrai qu'à cet âge les hommes narcissiques sont encore plus narcissiques.

Elle lui répond qu'elle sourit, car, depuis qu'ils ont joué ensemble avec cette appli sur le téléphone mobile qui vieillit les visages, elle le voit souvent, comme dans un flash, avec vingt ou trente années de plus. Et cela l'amuse. Cela l'amuse aussi, lui, mais, elle subodore qu'il feint l'amusement. Elle sait que pour lui, leur différence d'âge est l'un des éléments-clé de leur relation amoureuse. Il adore croiser le regard des passants quand ils sont dans la rue les mains tendrement enlacées et que l'on trouve qu'il paraît bien jeune pour elle. Que l'on gomme cette différence d'âge et ce serait comme effacer un avantage concurrentiel. Il doit pouvoir à chaque instant se prévaloir de sa jeunesse. Il faut qu'elle soit toujours présente, qu'elle mange avec eux, qu'elle dorme avec eux et qu'elle se manifeste jusque dans leur étreinte. C'est d'ailleurs bien la moindre des choses puisque c'est là qu'elle est supposée devoir rendre des comptes, sa jeunesse.

Sylvie se demande qui elle choisirait si elle devait choisir entre lui maintenant et lui dans vingt ans, entre ce jeune homme de trente ans et cet encore jeune homme de cinquante ans. C'est indécidable, évidemment. Elle sourit encore, mais, cette fois, c'est à l'idée qu'elle ne choisirait pas et qu'elle prendrait les deux. Et, soudainement, cela ne la fait plus sourire. Est-ce que sa jeunesse déjà la lasse qu'elle imagine qu'elle puisse être séduite par un homme de son âge ? Elle a toujours professé une parfaite indifférence à ces questions d'âge, ne comprenant pas pourquoi, la chanteuse Barbara, dans sa chanson Les Sables mouvants, évoque d'emblée des amours condamnées. Pourquoi quelques années devraient condamner le désir partagé ? Mais il est vrai que depuis quelques jours, elle comprend mieux la fin de la chanson, quand Barbara annonce : un jour, demain, je partirai / Sans rien te dire, sans m'expliquer. Jusqu'à présent, elle avait toujours entendu ces vers comme l'expression de la crainte d'être quittée et de conjurer cette crainte en partant la première. Elle entend autre chose désormais, qui ne relève pas de la crainte mais de la lassitude ; mais pas seulement : du goût aussi. Si seulement il pouvait avoir quelques cheveux blancs ! Elle ferme les yeux. Elle pense à un beau cinquantenaire qui la surprendrait... Elle divague.









page 309










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4e de couverture






Sylvie est amoureuse. Sylvie est heureuse. Elle est avec son amour. Tout est parfait, c'est l'été. Mais tous les mauvais génies du temps qui passe et qui la hantent, comme ils hantent chacune et chacun d'entre nous, commencent à lui susurrer que... « ça ne durera pas ; que ça ne va pas durer ». Tout est déjà là, prêt à construire des souvenirs indélébiles et une peine irréparable. Il est beau, intelligent, plus jeune qu'elle et ils font magnifiquement l'amour. La descente va être rude, se dit-elle. Oui, mais voilà, Sylvie est écrivaine et elle décide que ça ne se passera pas comme ça. Son boulot, c'est d'écrire des histoires et de décider lesquelles. Elle va donc écrire au jour le jour leur histoire comme si elle l'écrivait dix ans plus tard, esseulée. Cet exercice sera salutaire. Ainsi, ce joli profil dans le soleil couchant, transformé en souvenir, est presque ridicule et ferait une très mauvaise photographie comme une très mauvaise peinture. La prétention de son amant à être parfait devient ridicule bien qu'elle demeure touchante. Sylvie se dédouble pour feinter les fantômes. Elle est la narratrice du personnage qu'elle sera devenue dix ans plus tard.
Noëmie Diégèse nous donne un roman subtil et drôle. Elle noue les fils du temps en une tresse drue qui nous invite aussi à une leçon de sagesse. Tout passe, évidemment... Et fort heureusement. Voici un bel antidote contre la crainte des amours déchues et de celle du vieillissement.










5 novembre







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