Diégèse | |||||||||
samedi 23 novembre 2019 | 2019 | ||||||||
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Il ne doit pas y avoir de drame | 327 | ||||||||
Gustav Diégèse | |||||||||
Cette
fois-ci, elle n'a pas pu s'échapper. Elle a son bonnet sur la
tête, de grosses lunettes, une écharpe abondante autour du cou, on ne
peut pas la reconnaître. Elle doit aller à Saint-Germain en Laye. Cela
lui prendrait trop de temps en voiture. Il est préférable de prendre le
RER. Elle se dit qu'elle n'a rien à y craindre et qu'il est fort
improbable qu'elle tombe justement sur des salariés de l'entreprise,
ces salariés pour lesquels elle prépare ce plan social assez déchirant.
Elle sait désormais que toutes les catégories vont être touchées,
cadres et non cadres, qu'ils soient en contrat à durée déterminée ou à
durée indéterminée. Les nouvelles mesures réglementaires facilitant les
départs volontaires vont l'aider à atteindre ses objectifs. Si elle
avait le cœur à sourire, elle sourirait... jaune. Ces mesures ont à
l'évidence été pensées par des gens qui ont de hauts salaires et qui
ont plus de cinquante ans, et qui de surcroît sont des hommes. Quand on
est une femme de moins de quarante, venant d'un quartier populaire,
avec un bac +2, et souvent moins, les mesures incitatives
le sont à
peine davantage que des indemnités de licenciement. Elles seront
d'ailleurs vite
mangées dans une période de chômage qui, le plus souvent, s'avère de
longue durée. Elle attend le RER sur le quai. Derrière elle, elle capte une conversation : « on a eu la réponse hier pour le prêt. C'est bon. Le banquier nous a dit qu'avec deux CDI, il n'y avait pas de problème. Il ne nous a même pas proposé d'assurance en cas de chômage. Il nous a dit et répété que le jour où cette entreprise débaucherait, ce serait vraiment toute l'économie française qui foutrait le camp. On va pouvoir avoir une chambre en plus et on a envie qu'elle soit occupée par un enfant. Bien sûr, on a pris un prêt sur trente ans. C'est maintenant ou jamais, vus les taux d'intérêt. Et puis on est jeunes encore. C'est notre premier CDI. Finie la galère de ces dernières années. Tu sais, on a même failli être à la rue. Heureusement que ses parents ont accepté de nous héberger. Mais ce n'était pas une vie. Maintenant, c'est fini. » Cette voix, elle la connaît. Ou elle pourrait la connaître. Ce pourrait être la voix de toutes ces femmes et de tous ces hommes dont elle propose lundi le licenciement, le départ, la fin de leur emploi. Elle se dit soudain que ces voix, elle les entendra désormais toute sa vie et que ce sera insupportable. Elle sait que l'entreprise ne va pas mal, que ce n'est pas la question, que la masse salariale, c'est la masse salariale... Elle sait tout cela et, soudainement, elle ne le sait plus. Il n'y a plus que les voix. À la gare RER de Saint-Germain en Laye, les écrans à quai ont annoncé un retard indéterminé pour cause « d'incident-voyageur » à La Défense. Marie, qui attendait son amie qui a un super poste RH dans une grosse boîte s'est dit qu'il y avait encore eu un drame, que c'était souvent, que les gens étaient vraiment désespérés. Elle est sortie de la gare pour prendre un café. Il ne devrait pas y avoir de drame, se dit-elle. |
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page 327 | |||||||||
Toute la collection | 4e de couverture | ||||||||
« Il
ne doit pas y
avoir de drame ! » C'est à peu près la seule consigne de
méthode qu'elle a obtenue du « board » de l'entreprise.
Pour
le reste, les objectifs sont clairs. Il faut réduire la masse salariale
de 20% au moins, au mieux 25%. Il s'agit de ce que l'on nomme « un
plan social ». Licenciements, départs volontaires, mutations
dans des filiales. Ce qui importe, c'est que le montant global des
rémunérations baisse drastiquement. « Pas de drame ! » L'expression la laisse rêveuse. En sortant de la tour de bureaux, elle croise quelques salariés. Elle surprend des bribes de leurs conversations alors qu'ils se dirigent vers la gare souterraine. Elle préfère prendre un taxi. Elle décide qu'elle les verra le moins possible. Elle doit les voir le moins possible. Elle est certaine qu'ainsi les drames seront atténués. Au moins pour elle. Gustav Diégèse nous plonge au jour le jour dans les affres de la restructuration d'une de ces entreprises d'un quartier d'affaires. Nous découvrons avec lui les techniques utilisées pour faire partir les gens, les négociations avec des syndicalistes qui pensent aussi à sauver leur emploi. Des actionnaires indifférents. La rumeur de la ville qui parvient à peine à percer le ronronnement feutré des climatiseurs... |
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23 novembre | |||||||||
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