19.  La solution du Merveilleux

Tous dans le château avaient remarqué que Cendrillon était devenue plus soucieuse.  Elle n'avait pas l'habitude que les histoires durent aussi longtemps.  D'ordinaire, deux ou trois coups de baguette magique, et ça y était!

Alors, prenant sa baguette magique bien en main et dégageant un peu de fumée pour faire plus vrai, enfin plus magique, elle reprit la parole, Voici le texte exact tel qu'il fut retranscrit :
« Écoutez, le cas est grave.  Je pense qu'il justifie quelque chose de tout à fait exceptionnel, quelque chose que l'on ne fait qu'une seule fois dans une vie de fée, dans une vie magique, quelque chose de passionnant mais de dangereux, d'intéressant mais de difficile,
Bref, il faut aller voir le GRAND MERVEILLEUX.

Et tous les gens qui avaient attendu, vaguement inquiets, répétèrent dans un grand cri d’admiration et de peur : le GRAND MERVEILLEUX!!!

Ils savaient tous, bien sûr, qui était ce GRAND MERVEILLEUX. C’était un peu le Père, le Chef, le Créateur, l'Organisateur, le Directeur, le Responsable, l'Animateur de tout ce qui était magique.  C'était lui qui avait décidé de distribuer à toutes les fées des ordinateurs magiques pour faire plus moderne.  C’était lui qui changeait les formules magiques quand elles étaient trop usées ou quand tout le monde les connaissait, comme par exemple Abracadabra qu'il avait mis au panier des formules cassées depuis déjà très longtemps.  C'était lui qui disait si les choses étaient magiques ou pas, qui acceptait ou refusait les nouvelles fées qui se présentaient. Personne ne pouvait décrire le Grand Merveilleux et ça n'avançait d'ailleurs pas à grand chose de savoir s'il avait une barbe ou pas ou si c'était un monstre ventru. On ne pouvait le voir que pour des histoires très très importantes, des histoires pour lesquelles tout avait échoué, et c'était lui qui décidait de la fin de l'histoire. Ressusciter la Belle au bois dormant au bout de cent ans : lui.  Blanche neige vivante à la demande des sept nains : lui aussi ! Pour aller le voir, c'est très difficile.  Il y a une formule magique qui change tout le temps et qui doit être dite en même temps par quelqu'un de magique et quelqu'un de pas magique.  Les pas-magiques acceptaient rarement et comme ça le Grand Merveilleux était tranquille.

Mais là, bien sûr, c'était différent, il y avait la fée Cendrillon, magique d'entre les magiques et le commissaire curieux, pas magique d'entre les pas magiques.  Tous les deux étaient bien décidés à aller voir le Grand Merveilleux pour retrouver les deux enfants.

Il faut passer sur la formule qui fut prononcée alors.  Il ne faut prendre aucun risque.  Si vous la prononciez, à voix haute, avec quelqu'un de magique, vous pourriez vous retrouver devant le Grand Merveilleux et alors, qu'est-ce que vous lui diriez ?

Le Roi, la Reine, le Plus du tout (on l’appelait comme ça pour aller plus vite) et même Barlama de Verlan virent disparaître Cendrillon et le commissaire en deux ou trois instants.

Ils voyagèrent vers le Grand Merveilleux, flottant, volant, nageant, tombant, montant, ne sachant rien, et surtout pas pendant combien de temps.

Là-bas, tout alla très vite. Il leur dit : vous avez été très courageux de venir jusqu'ici mais il vous faudra encore plus de courage pour continuer votre chemin. µ et Grisaille ont disparu et ils ont disparu plus loin que vous n auriez jamais osé l'imaginer. Ils ont quitté notre monde, ce monde sur lequel moi, le Grand Merveilleux, je règne. Ils ont quitté notre monde par un très vieux passage, si vieux que je le croyais définitivement oublié, perdu, bouché.  Mais ils l'ont retrouvé, et ils sont partis vers le monde dangereux, le monde qui n'a rien à faire d'un Grand Merveilleux.

Il vous faut aller les chercher, mais avant de partir, vous devez connaître plusieurs choses.  Dans ce monde dangereux, vous n’aurez aucun pouvoir magique.  Vous Cendrillon, ne dites jamais qui vous êtes, vous êtes connue là-bas.  Ils vous croient encore Princesse tout en pensant que vous n'existez pas.  C'est un peu compliqué mais c'est comme ça.  Il ne faudra jamais parler de notre monde ou alors pour en plaisanter, sous peine de graves ennuis.

Je ne peux malheureusement vous révéler le passage d'entre les deux mondes.  Je risquerais moi-même d'y être instantanément aspiré et avec moi tous mes pouvoirs. Vous pouvez essayer cependant de deviner où il se trouve.

Alors, à ce moment là, le Grand Merveilleux se leva, prit Cendrillon et Curieux par la main et les entraîne dans une ronde en chantant: "Nous jouons, nous jouons, nous jouons, au dehors tout est gris, tout est gris, nous jouons, nous jouons, trois petits coups par là et par ici, par ici et par là, au dehors tout est gris."

Curieux se demandait si le Grand Merveilleux n'avait pas pris un coup sur la tête...

Enfin, il s'arrêta de tourner et leur dit qu'il ne pouvait plus rien pour eux.  Il fit un grand geste et le voyage indéfinissable recommença dans l'autre sens, si l'on peut parler de sens pour un tel voyage.  Cendrillon et Curieux réapparurent, peut-être par inadvertance, au plein milieu d'une forêt d'arbres morts et il leur fallut quatre heures de marche difficile pour rejoindre le château: des branches mortes, noires, de la brume, traverser des toiles d'araignée, marcher sur des crapauds gluants... Cendrillon disait que ça lui rappelait la fin de la Belle au Bois dormant.

Arrivés au château, ils réfléchirent à cette histoire absurde que leur avait racontée le Grand Merveilleux: trois petits coups par là, gna gna gna, jouons jouons jouons, gnon gnon gnon.

Soudain Curieux se précipite : « J'ai compris !  Tout est gris, c'est donc au Royaume Ténébreux.  Jouons, c'est donc dans la salle de jeux.  Trois petits coups, c'est un code secret pour ouvrir le passage.  Allons donc donner trois petits coups partout.

 Cela dura assez longtemps, même que Cendrillon avait des ampoules aux mains et aux doigts à force de taper sur les cubes et le sol et les murs et même sur la tête du commissaire Curieux pour s'amuser un peu. Enfin, et heureusement, devant le cube du milieu, celui sur lequel µ avait dessiné des arcs en ciel, Cendrillon tapa trois coups, Curieux trois autres coups, et le cube bougea et dévoila les fameux escaliers que l'on connaît déjà.  Ils s'y engouffrèrent, le cube pivota derrière eux, mais Curieux avait pris la précaution de glisser dans l'ouverture le couvercle de la grosse boîte de peinture.

Cela dit l'histoire devait continuer : il fallait descendre, descendre et encore descendre.

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