6. La salle à jouer

Françoise Cloarec - tous droits réservés - francoise.cloarec@wanadoo.frIl avait fallu porter µ jusqu'à la salle de jeux du Prince Grisaille car c'était une petite Princesse qui savait mordre, griffer, donner des coups de pieds et même tirer les cheveux.  Bien sûr, cela n'arrivait que lorsqu'on voulait la forcer à faire quelque chose, et ça n'arrivait pas très souvent, heureusement.

La salle de jeux du Prince Grisaille était une grande pièce toute grise avec un très haut plafond.  Dans cette salle, il y avait de gros cubes gris sur lesquels on pouvait monter. On pouvait aussi les déplacer. On entrait dans cette salle par une grande porte à deux battants. Le plus triste, c’était qu'il n'y avait pas de fenêtres. La salle était éclairée par de blanches lampes au néon qui donnaient une aveuglante lumière, trop forte.

Les gardes du Seigneur Ténébreux avaient poussé la petite µ et le Prince Grisaille était entré derrière elle, puis, on avait fermé la porte à double tour. µ avait bien entendu les tours de la grosse clé dans la grosse serrure.

Vraiment, elle en avait assez de toute cette histoire. D'abord, elle avait été malade toute la matinée et elle se retrouvait maintenant avec ce Prince qu'elle n'aimait pas du tout, obligée de jouer avec lui avec de gros cubes tout moches !

Mais µ était très courageuse, elle ne pleurait pas et elle n'était même plus malade. Cela n’aurait servi à rien. Elle était pourtant si triste qu'elle regrettait même ses leçons de violon, enfin presque, c'est pour dire.

Alors, µ monta sur le cube le plus haut, laissa le Prince Grisaille dans son coin et pendant un long moment elle fit semblant de dormir.

Grisaille attendit. Puis, voyant qu'il ne se passait pas grand chose, il lui dit : toi !!! Tu te prends pour la Belle au bois dormant ou quoi ?

µ, furieuse se releva et lui répondit : « Pas du tout, espèce de Prince de rien du tout ! La belle au bois dormant, elle avait un Prince charmant pour la réveiller. Toi, tu serais plutôt le Prince pas charmant ! Et, elle trouva si drôle ce qu'elle venait de dire, qu'elle se mit à rire sans pouvoir s’arrêter. Elle commença à s'énerver. Elle pensa à crier, taper du pied, se cogner la tête contre les murs et la porte et surtout à donner des coups de poing et des gifles et des grandes claques au Prince Grisaille pas charmant, mais une fois encore, elle savait que cela ne servirait à rien, à rien du tout.  Il ne lui restait plus qu'à jouer. Alors, elle dit au Prince : « Bon, d'accord, à quoi est-ce qu’on joue ? »

Françoise Cloarec - tous droits réservés - francoise.cloarec@wanadoo.frLe Prince Grisaille lui proposa de lancer les cubes en l'air pour se faire mal.  Celui-là avec ses jeux idiots ! Elle refusa et lui demanda s'il n'avait pas de la peinture ou des crayons de couleur pour faire de jolis dessins.  Grisaille lui répondit « De la peinture ? Des crayons de couleur ? Qu'est-ce que c'est la couleur ? »

Le pauvre petit Prince, à force de vivre dans tout ce gris, ne savait même pas reconnaître les couleurs. La petite µ, à qui l'on avait appris à avoir toujours bon coeur, en était triste pour lui. Alors, elle essaya d'expliquer au Prince pas charmant comment étaient les couleurs. Le plus drôle, c’était que le petit Prince écoutait, écoutait, sage, sage, sage, comme deux ou trois images.

Elle lui raconta le vert des arbres, et de l'herbe, et des feuilles, le bleu du ciel au Royaume Joli, le jaune du coucher du soleil.  Elle lui parla du blanc des maisons blanches autour du château, et le rouge du feu quand il dort tranquillement dans la cheminée, elle lui parla même du noir de la suie ou de la nuit, le noir si doux quand on est dans son lit et que l'on va dormir.  Mais elle ne lui parla pas du gris, ça, il connaissait.

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