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Toute
cette région de Lombardie est un champ de bataille mêlé
d'images passées avec des couleurs qui n'en sont plus. Lodi,
comme un vieux souvenir qui tangue sur un souvenir d'amour. Pour
m'accompagner, j'ai
acheté des chansons d'amour et des morceaux d'amour, Billie Holliday,
Songs
for distingué lovers. C'est sans doute un peu surfait, nous
ne sommes ni distingués, ni des amants. Je peux fredonner
toutes
les chansons, en pensant à des jours de pluie, à un temps
de balades en rond, une tristesse malhabile. Mais
le chuintement acide de la voix de Billie susurre que le monde peut
être
triste et élégant et que cette élégance suffit
à justifier la souffrance des histoires d'amour. Je cherche
le souvenir du quartier de Marseille qui porte le même nom que la
ville déchue, célèbre désormais d'être
enfouie dans les
passages incessants, jamais un arrêt,
et nul regards. Mais,
au bout de la
promenade lassée, dans le seul café de Lodi
qui reste ouvert, lumières sombres le soir, me
rappellerai-je longtemps les cheveux noirs et la peau blanche. Les
cheveux
comme teints, les lèvres un peu rosies par le vin, l'idée
même de parler, l'idée même d'être là l'enchantait,
lui ployait la tête avec grâce dans la conversation toute faite
d'anecdotes, pour l'endormir, pour séduire, pour jouer à
être célèbres et à être intéressants,
tous, autour, affamés et sans aucune pitié pour sa jeunesse
qui s'excuse, qui tente de donner le change, par un maintien
impeccable,
une idée de soi qui se construit avec douceur, une idée qu'il
n'y a rien de mal, que c'est comme
ça,
que c'est mieux comme ça, que cela viendra plus tard. Personne
n'a remarqué ma fascination. |