|
Je
ne sais pas si je dois vraiment rester à Alassio pour déchiffrer
toutes les signatures du « Muretto » et je pourrais bien
ensuite
commencer
une monographie sur Simone Ventura en vendant des pizzas au bord de la
plage. Je traîne,
inquiétant les passants de mon air triste, mon
accoutrement même me recouvre d'austérité. Ce sont
sans doute le voyage et les longues marches le long de la plage, mon
visage tendu s'émacie et il semblerait même que le feu m'habite.
J'ai suivi trop longtemps un couple ce matin. J'ai frôlé l'esclandre
mais leur
image était si parfaite, si parfaitement souple dans la scène
sombre et fade de la rue que je me suis senti impur. C'est sans doute
cela,
la tentation du cinéma, créer
de façon artificielle, des scènes parfaites. Je me rappelle
Belmondo parlant de Godard le suivant dans Paris, déjouant sa méfiance
pour créer Pierrot le fou ou À bout de souffle. Je
ne sais plus. Je ne sais pas si Godard le fait, mais moi, j'ajoute
de la musique dans les scènes de cette vie. Alassio m'ennuie
beaucoup. Dans
ces quartiers cossus, qui pourraient être à Buenos-Aires ou
à Beyrouth, les couples qui s'embrassent, se câlinent et se
pressent, ont l'allure artificielle de l'adultère, l'éphémère
de la scène. Je ferme les yeux et j'imagine
un homme en manteau de laine, une femme avec un carré de soie.
Peut-être
ai-je perçu une once de parfums mêlés en passant, du
cèdre, et une essence plus sucrée pour marquer la féminité
? Je ne me suis pas retourné. je ne pense pas. Je parviens presque
maintenant à imaginer le Muretto sans aucune signature, avant et je
retrouve ainsi le sentiment de solitude et de froid qui m'a pris, à
ne pas te connaître et à vivre cependant avec toi. Placé
face à ton absence que je ne manque pas de redouter et d'espérer,
je me suis plongé dans la mémoire des autres. Je suis allé
prendre des images de pierre en solitude, depuis des centaines d'années.
|