diegese |
diégèse 2006 |
l'atelier du texte |
Séquence 11 |
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Séquence 13 |
Lumière. La même
lumière très forte, très blanche. Mathieu est assis sur le canapé. Il est assis sur la droite du canapé. De face, si on le regarde de face, il est donc sur la gauche, il est assis face au téléviseur. Si on regarde Mathieu de face, on ne voit pas l'écran du téléviseur. On voit l'arrière du téléviseur. Il faudrait tourner le téléviseur pour voir l'écran. Gustav entre. On dit qu'il entre mais en fait, il apparaît. Il réapparaît. Il se place derrière le canapé, debout, exactement là où était Mathieu auparavant, avant de s'asseoir sur le canapé, là où il est désormais assis. Gustav : je ne travaille pas pour Mathieu, je ne travaille pas selon sa méthode, je ne suis pas prostitué, je suis comédien. Je ne fais jamais de démonstrations d'amitié, je suis payé au cachet. Quand je joue, je suis payé au cachet et je ne joue pas toujours ce que l'on me demande de jouer. Je suis un comédien. Je joue la comédie et je joue la tragédie et je joue. Je joue au théâtre et je joue au cinéma et l'on me voit parfois à la télévision. Je ne joue pas par amitié. Je ne joue pas l'amitié, sauf si le texte indique qu'il faut jouer l'amitié, sauf si l'interprétation du texte implique que je doive jouer l'amitié. Mais aucun texte ne dit cela. Je n'en ai pas le souvenir. Un comédien a de la mémoire. Rien ne dit qu'il ait des souvenirs. On me demande parfois si je suis triste quand je joue une scène triste, si je suis heureux quand je joue une scène de bonheur, si je suis criminel quand je joue une scène de crime. On me demande parfois aussi, comme on le demande à Mathieu, si j'ai des sentiments, voire même si je suis sentimental. Mais je suis comédien. J'ai des sentiments, des coups de cœur, des élans mais cela n'a rien à voir avec jouer la comédie, avec le fait d'être comédien. Quand je joue, je ne peux pas penser à autre chose qu'à ce que je joue, qu'à ce qui est en train de se jouer. C'est pour moi la différence principale entre les moments où je joue et les moments où je ne joue pas. Quand je ne joue pas, je peux parfois, je peux souvent penser à autre chose. Quand je joue, c'est impossible. Et je joue, et je joue, et je joue. Jouer est comme un sommeil, est comme le sommeil. Après la scène, je me rappelle des bribes de la scène comme je ne me rappelle que des bribes des rêves, que des bribes de mes rêves. Et je joue et la vie passe entre ce sommeil et ce sommeil, entre le sommeil de la nuit et le sommeil du jeu de la scène, et quand je me tais, c'est la vie qui se tait, c'est le jeu de la vie qui se tait. Je suis comédien et je ne suis jamais certain de ces choses qui existent hors de moi. Je ne suis jamais sûr de rien. Je ne suis jamais sûr de rien et je ne suis jamais sûr de mon corps et je suis plus certain de ma parole, de l'idée de ma parole que de mon corps, que de l'idée de mon corps, que l'idée de ces substances finies qui sont données à voir. Mathieu : Les Méditations métaphysiques. Gustav : René Descartes. Je sais. Je sais, je ne sais que cela. Je vais continuer. Cette fois, c'est moi qui vais continuer, puisque cela ne reprend pas, puisque cela continue. Mathieu : tu ne veux pas plutôt jouer une histoire d'amour, une histoire d'amour dans une vie qui ne serait pas une vie de scène, une histoire d'amour dans une vie qui connaît la lumière et qui connaît la nuit. Gustav : je ne connais pas le texte. Je ne connais pas cette pièce. Je ne connais pas cet auteur. Mathieu : j'ai l'intellection d'un Dieu souverain, éternel, infini, omniscient, tout puissant et créateur de toutes les choses qui sont en dehors de lui. Gustav : René Descartes. Je sais. Je sais. Je ne sais que cela. Et je peux le répéter et c'est le propre d'un comédien, le propre d'un acteur, de pouvoir répéter. Mais je ne vais pas répéter sans fin, sans que cela finisse, sans que cela finisse jamais, les phrases de Descartes, les Méditations métaphysiques découpées, éparpillées au hasard d'une scène, de cette scène ou d'une autre scène. Je ne vais pas répéter et je peux tout aussi bien jouer sans répéter, sans jamais répéter. Ce que je joue, ce que je vais jouer là, je ne le répète pas, je ne le répéterai pas. Mathieu: ça commence. Gustav : ça commence. Une image. La performance. Une performance sur une image. Ce serait le spectacle. Ce serait mon spectacle. Ce serait un spectacle minimaliste. Une seule image et une performance sur cette image, un texte, une sorte de texte et ce serait un texte comme une sculpture. Ce serait une sculpture. Le texte et l'image, et la performance, ma performance, l'ensemble, cet ensemble-là, ce serait une sculpture. Mathieu : ce serait bien. Gustav : ce serait comme ça. Mathieu : ce serait comme ça. Gustav : ce serait bien. Mathieu : ce serait transparent. Gustav : ce serait comme une vérité transparente. Mathieu : cela irait jusqu'au sommeil. Gustav : cela serait le sommeil, cela aurait la transparence du sommeil. Mathieu : ce serait comme ça. Gustav : oui. Ce serait un spectacle et ce spectacle serait une performance, et ce serait plus qu'une performance, ce serait une assertion, ce serait seulement, entièrement, une assertion. Ce ne serait pas seulement assertif, ce serait l'assertion. Mathieu : ce serait comme ça. Gustav : ce serait bien. |
Séquence
13 |