diegese
diégèse 2006


l'atelier du texte


Séquence 34
Séquence 35
Séquence 36


Gustav : soit. Nous sommes des personnages mortels. Mais pourtant nous existons.

Mathieu : je me souviens avoir souvent tenu pour vraies et certaines bien des choses que peu après d'autres raisons m'ont conduit à juger fausses.

Noëmie : Descartes.

Mathieu : René Descartes.

Noëmie : les Méditations métaphysiques.

Gustav : encore. Tout aussi bien, nous ne sommes pas mortels puisque nous sommes des personnages. Notre mortalité est une fiction.

Mathieu : tu te trompes. Notre mortalité n'est pas encore une fiction. Elle n'en a pas acquis l'architecture. Elle ne se déploie pas. Elle est dans un ciel caché et elle doit encore plonger droit dans ce ciel-là. Notre mortalité ne nous est pas encore révélée.

Gustav : je ne suis pas certain d'avoir la patience de concevoir l'architecture filaire nécessaire à la construction de notre mortalité.

Mathieu : ce n'est pas ta responsabilité.

Gustav : je ne suis pas certain d'avoir la patience. Je ne suis pas certain d'avoir aucune patience, la patience nécessaire pour concevoir mon rôle.

Noëmie : et notre rôle ? Et le nôtre ?

Mathieu : ce n'est pas sa responsabilité.

Noëmie : mais il n'y a pas d'auteur.

Mathieu : tu n'en sais rien. Tu te trompes souvent.

Noëmie : Maintenant, en effet, que m'opposera-t-on ? Que j'ai été fait telle que je me trompe souvent ?

Gustav : oui. C'est Descartes. René Descartes. Encore.

Noëmie : certes, j'ai été faite telle que je me trompe souvent mais je sais aussi, avec Descartes, avec René Descartes, que je ne peux me tromper dans ce dont j'ai une intellection transparente.

Mathieu : dans ce dont j'ai.

Gustav : dans ce dont j'ai.

Mathieu : les oppositions de Descartes me font penser à ces oppositions entre le fond et la forme, les tuyaux et les contenus, me font penser à ces oppositions ridicules. Dans ce dont j'ai.

Gustav : dans ce dont j'ai.

Noëmie : transparente.

Gustav : mais la transparence n'existe pas. Rien n'est jamais transparent. Tout est composite. Transparent, ce serait pur, ce serait la pureté et la pureté est fiction et la fiction n'existe pas.

Mathieu : il ne s'agirait pas d'ignorer cette règle de vérité.

Noëmie : je me demande si cela va durer encore, si cela va durer encore longtemps.

Mathieu : je ne me sens pas seul, pourtant. Je ne me sens pas si seul.

Noëmie : ça peut commencer demain.

Mathieu : tout peut toujours commencer demain et pourtant le texte n'est que le texte d'aujourd'hui et nous sommes les personnages d'aujourd'hui qui ne parlent, qui ne bougent, qui n'existent qu'aujourd'hui. Nous sommes les personnages mortels d'aujourd'hui. 

Gustav : c'est un conte pour enfants. Tu peux encore imaginer que nous sommes les personnages d'un conte pour enfants.

Mathieu : je ne sais pas. Je voudrais prendre de la distance. Je voudrais donner de la distance. Je voudrais parfois être un personnage qui rêve.

Mathieu : et le rêve ne va pourtant pas exténuer l'angoisse.

Gustav : c'est la première fois que tu évoques mon angoisse.

Noëmie : c'est la première fois que Mathieu évoque l'angoisse de Gustav.

Mathieu : c'est la première fois que j'évoque ton angoisse.

Gustav : mais je préfère que l'on parle de ma fatigue.


Séquence 36