diegese
diégèse 2006


l'atelier du texte


Séquence 37
Séquence 38
Séquence 39


Gustav : je suis peu doué pour cet exercice.

Noëmie : ce n'est pas un exercice. C'est un jeu.

Gustav : un jeu peut être un exercice.

Noëmie : un jeu ne peut pas être un exercice. On peut cependant s'exercer au jeu mais quand on joue on ne s'exerce pas.

Gustav : ce n'est pas un jeu.

Noëmie : Gustav quitte l'écran et apparaît sur la scène.

Gustav : ce n'est pas possible.

Noëmie : c'est possible.

Gustav : je connais désormais mieux tes jeux. Ce sera donc possible. Mais ce n'est pas parce que je descends de l'écran que ferai quelque chose.

Mathieu : je resterai sur l'écran. Je continuerai de suivre l'autoroute du Nord, tout au long de l'autoroute, et je mémoriserai plusieurs lieux qui ne sont pas des lieux et ce sera l'expression de ma liberté.

Noëmie : c'est possible.

Mathieu : mais je peux tout aussi bien descendre de l'écran moi aussi, que ce soit possible ou que ce soit impossible. je peux dire sans réaliser, je peux parler sans faire. Je ne suis pas condamné à la parole performative.

Noëmie : quand dire c'est faire...

Mathieu : et pourtant tous nos énoncés sont performatifs.

Gustav : je sentais aussi en eux la dureté, la chaleur et d'autres qualités tactiles.

Mathieu : et tu prouves ainsi, citant Descartes à travers le désir, que l'art est performance et qu'il échappe à la performation, qu'il échappe au pouvoir.

Mathieu : nous échappons à la performance, et nous échappons aussi aux énoncés performatifs puisque nous sommes des personnages. Un personnage ne fait rien lorsqu'il dit quelque chose. Il ne fait que dire son texte.

Noëmie : mais vous pourrez convenir que la didascalie est une pure performation. Vous êtes ce que je dis que vous êtes, davantage même que vous faites ce que je dis que vous faites.

Gustav : je pense à Bagdad.

Noëmie : ce n'est pas dans le texte.

Gustav : je ne connais pas mon texte.

Mathieu : je pense à Chartres.

Gustav : quel est le rapport entre Chartres et Bagdad ?

Mathieu : nous sommes ce rapport. Tu penses à Bagdad. Je pense à Chartres. Nous le disons et cela suffit à créer un rapport entre Chartres et Bagdad, entre Bagdad et Chartres. Le texte, ce texte que nous disons établit un rapport.

Gustav : et cela suffit.

Mathieu : cela est suffisant.

Noëmie : c'est suffisant et ce n'est pas dans le texte.

Noëmie : il y a un rapport. Ce rapport est poétique.

Gustav : tu critiques ?

Mathieu : tu fais la critique ? Tu n'es pourtant pas critique. Ton contrat ne stipule pas que tu es critique, que tu serais critique.

Gustav : cela n'a pas de rapport.

Noëmie : Mathieu pense qu'il aimerait aller à Chartres pendant que Gustav évoque doucement la possibilité de Bagdad.

Mathieu : ce sont toujours de petites vengeances.

Noëmie : pour me venger, il faudrait encore que je participe ou alors que je me mette dans la salle et que je me joigne parfois, de temps en temps, pas tout le temps, aux applaudissements solitaires qui viennent de la salle, parfois, de temps en temps. Il faudrait tout cela et ce n'est pas cela.

Mathieu : tu es glacée.

Noëmie : je n'oublie jamais que c'est l'automne.

Gustav : et comment le sais-tu ? 

Noëmie : je ne le sais pas.


Séquence 39