diegese
diégèse 2006

l'atelier du texte

Séquence 43
Séquence 44
Séquence 45

Noëmie : pourquoi n'irions-nous pas dans le jardin ? Il y a quelques tapis et le jasmin qui embaume.

Mathieu : nous ne sommes pas des personnages de Marguerite Duras. Nous ne sommes pas des personnages de roman.

Gustav : ce n'est pas autorisé ?

Mathieu : il est préférable d'éviter les références. Je connais des personnages que les références ont tués. Je connais quelques personnages que les références ont tués. Je connais d'autres personnages qui ont été envoyés au tribunal à force de références trop appuyées.

Gustav : nous serons donc sans référence. Nous resterons silencieusement sans référence, sans cet espoir qui ne fait rien dire, qui ne fait rien. Nous serons sans récit, sans le récit du jour, sans le récit de la nuit. Nous resterons tous les trois, sans rien.

Noëmie : et pourtant de nouveaux visages se dessinent dans ma tête.

Mathieu : et pourtant, il y a le jardin et le jasmin qui embaume.

Gustav : mais si nous allons dans le jardin, si nous allons au jardin, personne ne nous verras, personne ne nous entendra.

Mathieu : mais nous sommes allés à Venise et ils nous ont suivis.

Gustav : mais nous sommes allés à Venise sans y penser, sans avoir déterminé avant de partir qu'il s'agissait de fuir.

Mathieu : mais nous sommes allés à Venise.

Gustav : nous sommes allés à Venise ou nous ne sommes pas allés à Venise. Personne ne peut le dire. C'est mémoire contre mémoire, c'est texte contre texte, c'est mot contre mot. La phrase qui dit que nous sommes allés à Venise, les phrases qui disent que nous sommes allés à Venise valent autant que la phrase qui dit que nous ne sommes pas allés à Venise, que les phrases qui disent que nous ne sommes pas allés à Venise.

Mathieu : toutes les phrases se valent alors.

Gustav : toutes les phrases se valent. Le réel est ailleurs que dans les phrases.

Gustav : nous pourrions quitter Venise. Nous pourrions quitter Venise pour d'autres villes irréelles, pour d'autres irréalités. Nous pourrions trouver d'autres promenades urbaines qui s'étendraient dans la douceur des villes.

Noëmie : je serais vengeresse, je serais une vengeresse insensée de la littérature.

Mathieu : tout cela est dramatique. Tout cela dénonce l'absence de perspectives.

Noëmie : et je serais byzantine et je te reposerais, je te reposerais comme une terrasse ombragée un jour de soleil en Italie, en Italie du sud, dans le Sud de l'Italie.

Mathieu : tu devrais jouer au théâtre. On dirait une tirade de théâtre.

Gustav : dans cet espace, il n'y a rien qui excite les sens.

Noëmie : c'est presque Descartes.

Mathieu : bien que dans tel espace il n'y ait rien qui excite les sens, il ne s'ensuit pas pour autant qu'il n'y a là aucun corps.

Noëmie : c'est Descartes, mais Descartes évoquait le feu.

Gustav : vous sentez comme il fait froid. Le froid demeure une sensation fiable, une sensation qui donne confiance.

Mathieu : il ne fait pas froid.

Gustav : vous sentez comme il fait chaud. La chaleur demeure une sensation fiable, une sensation qui donne confiance.

Mathieu : il ne fait pas chaud.

Noëmie : et la tiédeur n'est pas de mise ici.

Séquence 45