août 2008


vers le mois de septembre 2008





1 Gustav Moi, j'ai encore chaud du soleil avalé le long des plages, au bout des landes et des chemins. Et encore, on ne tient pas compte de la réfraction atmosphérique.

Mathieu Je me souviendrai de la couleur de l'eau.

D. Je ne sais pas quelles seront les couleurs nouvelles de Paris, puisque nous sommes rentrés à Paris.

Noëmie Je me souviens de deux ou trois paysages qui s'évanouissent.

Gustav Je ne me souviens plus de mon texte. Je ne me souviens d'aucun texte et je ne suis rien sans texte.

D. Toujours la même histoire. Il n'y a pas de texte dont tu devrais te souvenir, dont tu pourrais te souvenir.
Noëmie C'est vrai et il est évident que tout ce qui est vrai est quelque chose. Il y aurait donc, cependant, un texte.
2 Mathieu Un texte. Il y aurait un texte qui ferait une chanson.

Noëmie Puisque nous sommes à Paris, puisque nous sommes de retour à Paris, faisons et chantons une chanson sur Paris. Nous pourrions faire une chanson sur Madrid, mais Madrid rend triste, dans la chanson.

D. Faisons une chanson fleuve. Paris mérite une chanson fleuve, la ville Seine mérite bien, vaut bien une chanson fleuve.

Gustav Je pourrais chanter tout de que de Paris, j'ai oublié. Par exemple, je ne sais plus pourquoi les mouettes crient au dessus des toits de Paris, le soir. Je vais au Palais royal sauter sur les colonnes de Buren et aider les mères à pousser les poussettes au dessus des grilles fontaine. Mais je ne sais pas pourquoi je fais cela. Est-ce que c'est suffisant pour amorcer une chanson ?

Mathieu Nous pourrions imaginer une chanson sur les départs et les arrivées, les retours, les retours à Paris, les départs de Paris. Le départ approche et mon visage s'estompe. Ça peut se chanter.

Noëmie Il y aurait une certaine fraîcheur. Ce serait une chanson moderne.

D. Il faut veiller à ne pas privatiser la modernité. comme tu as auparavant privatisé Descartes.
Noëmie Descartes ne s'amuse pas, lui.
3 D. Je ne m'amuse pas non plus à faire revenir des mots sur les souvenirs, sur vos souvenirs. J'espère qu'il sera temps, dans l'hiver, pendant l'hiver, de reprendre, de repriser, de textualiser ce qui peut-être, pourtant, ne pourra jamais être autrement textualisé que sous la forme avec laquelle cela s'écrit, aujourd'hui. Je ne sais pas encore.

Gustav J'ai marché jusqu'au soir. Je ne me souviens de rien. J'étais en état d'éclipse.

Mathieu Je suis allé nager pour retrouver dans l'eau l'impression du rêve de la nuit.

Noëmie Les souvenirs des rêves disent parfois des vérités inattendues et j'ai tenu pour plus certaines que toute autre les vérités de ce genre.
D. Ce sont les rêves qui me fournissent parfois des phrases entières. Les phrases sont parfois des marchandises comme les autres. Pour aller faire mes courses dans les rêves, je me prépare à la nuit.
4 Mathieu Les rêves, puis le souvenir des rêves font tout une archéologie douceâtre de souvenirs qui nous conduit parfois au bord même d'une asphyxie esthétique.

Noëmie Me souvenir de mes rêves, c'est la dernière preuve que je peux tirer de ma pensée l'idée de quelque chose.

Gustav On se réveille et on ne sait déjà plus grand chose de la production onirique. Il faudra bien que les rêves reviennent. Il s'agira bien de les y obliger. Je ne peux pas attendre l'année prochaine. L'année prochaine, j'aurai d'autres craintes.

D. Il n'y a aucune crainte à avoir. L'obscurité n'ira pas au delà.
Mathieu Je lie l'angoisse et le temps qui passe et cela fournit les craintes. Mais je sais que ce genre de lien est interdit, n'est pas correct.
5 Noëmie J'ai beaucoup réfléchi à l'angoisse et je crois avoir trouvé une chose ou deux. Quand bien même tout ce que j'ai médité ces jours derniers ne serait pas vrai, cela change la vie.

Mathieu Je n'arrive plus à méditer sur l'angoisse quand je suis à Paris. J'ai retrouvé vite les habitudes parisiennes. Je me fais aussi disponible que la ville. Tout va très vite. La semaine à peine commencée est déjà terminée.

D. Paris et l'angoisse ne doivent pas nous faire oublier que nous avons une chanson à écrire. Puis nous la chanterons.

Gustav Ce sont les trucs des stars. Quelle chanson devons-nous écrire ? Une chanson originale ? Une chanson originale, une chanson d'une grande originalité, avec de l'amour, avec du temps qui passe et qui ne revient plus, qui ne revient pas, qui ne reviendra pas, tralala, tralala...
D. Ce doit être à peu près cela.
6 Gustav Pour autant, comment choisir la chanson, son thème et son air. Nous sommes déjà venus ici mais nous n'avions pas chanté.

Mathieu Nous pourrions, sans même chanter, imaginer un tintamarre joyeux et inquiétant. Nous partirions comme en exploration dans les rues voilées par les souvenirs avec le bagage linguistique de la journée.

Noëmie Cela n'est pas tout à fait transparent. Nos promenades ne ressemblent jamais à des chansons. Elles sont plutôt comme une irritation définitive.
D. Je ne suis pas irrité mais je ne cherche pas à faire correspondre mes tendresses avec la vérité du monde.
7 Noëmie La vérité du monde n'est jamais qu'une démonstration personnelle. Nous faisons durer le temps, juste pour avancer.

Mathieu Nous faisons durer le temps parce que ce sont les vacances. La ville calmée laisse entrevoir l'espoir d'une complète sédentarité.

Gustav La ville se repent aussi de tout ce désoeuvrement de solitude.
D. Et puis rien ne bouge.
8 Gustav Tu as raison. Rien ne bouge. Nous parvenons juste à faire quelques pas harassés sur le trottoir en face de la maison et à manipuler sans cesse l'idée de montagne, l'idée de vallée.

Mathieu Moi je joue à la province. comme dans l'enfance, on joue au prince et à la princesse. Je cherche dans des restaurants et des cafés qui me donnent le goût d'Angoulême ou de Guéret.

Noëmie Je ne suis donc plus certaine que ce non voyage soit insensé. Nous sommes à Paris et c'est pourtant un voyage. Parfois même, au détour d'une rue, il est possible de croiser un ange, un ange, vraiment.

D. Nos promenades pourraient aussi nous conduire à prendre des photographies.

Mathieu La photographie est insolente.

Gustav La photographie est muette.
D. Avec ou sans photographie, cela devrait bien être possible, de raconter quelque chose.
9 Mathieu Nous n'avons rien à raconter. Nous servons seulement à marquer comme le temps passe en revenant toujours, pour savoir, pour comprendre, pour évidemment comprendre que cela ne sert à rien.

Gustav Parfois, sur un banc, nous relevons un détail oublié, un quadrillage. Du banc, du quadrillage, du temps qui passe en revenant toujours, je n'en garde que la couleur floue.

Noëmie Il n'y a pas que le temps, il y a aussi l'espace, tout l'espace, tout cet espace et toutes les promenades qui permettent que je pense la montagne avec la vallée.

D. Vous pensez au temps, mais pourtant, il n'y a plus aucune nostalgie.
Gustav Le temps, l'espace, la nostalgie... Je confonds peut-être.
10 Mathieu Tu confonds certainement le temps et la nostalgie et c'est pour cela que tu n'as plus de souvenirs. 

Gustav Le souvenir et la mémoire même, cela demeure à trouver et avant cela demeure à chercher puis à construire.

Noëmie Mais il n'y a pourtant aucune nécessité aux choses. Il n'y a non plus aucune nécessité aux souvenirs.

D. Alors il y a la possibilité, encore, de l'imagination. Il est permis par exemple d'imaginer un cheval ailé ou le ciel toujours rose. La vie devient alors comme une comptine.
Gustav Je ne sais rien imaginer. Je reste là assis avec l'espoir que la fatigue s'estompe, bouge un peu de sa place douce. Je lis quelques phrases et je ne sais plus bien pour qui elles sont écrites. Je regarde, dans le paysage, les tours un peu penchées par la perspective. Elles ne me disent rien.
11 Mathieu Je regarde passer un avion. Avion vole. Il vole vers plus de vide, vers encore plus de vide, encore, rapidement.

Noëmie Depuis que nous sommes ici, la lumière orange de Paris anesthésie. nos phrases et s'oppose à toute construction de souvenirs. Nous sommes à Paris, donc nous ne nous souvenons de rien. C'est ici que se cache un sophisme.

D. Je crois que rien ne m'a arrêté jusqu'ici dans la construction de phrases et dans la construction de souvenirs. C'est pour moi une obsession.
Gustav Il n'y a pas d'obsession. Il n'y a pas d'obsession dans l'art. Parfois, seulement, l'odeur des galeries, obsédante, obsède.
12 D. Nous pourrions voyager de lieux en lieux pour voir de l'art.

Gustav Je ne suis pas certain que j'imagine en ces voyages autre chose qu'un tourisme un peu moins ennuyeux que le tourisme. Est-ce que je pourrais en faire des souvenirs ? Est-ce que l'on fabrique des souvenirs en regardant de l'art ? Regarder de l'art contemporain, c'est un peu regarder en arrière en regardant en avant. Nous allons voyager puis je vais oublier.

Noëmie Quand je regarde de l'art, c'est ma pensée qui le fait. Non que ce soit ma pensée qui le fasse, c'est-à-dire qu'elle impose à aucune chose aucune nécessité.

Mathieu Une exposition est souvent comme une fête crispée. Je vois des gens que je connais. J'échange des mots drôles contre d'autres mots drôles avec la sincérité molle de l'été. Puis je suis au désespoir avec le sentiment de ne pas être là où il faudrait que je sois.

D. Nous pourrions tenter.
Gustav Je ne tente rien, je suis donné.
13 Mathieu Alors nous pourrions visiter toutes les églises de Paris, et les temples aussi, à la recherche d'un être souverainement parfait.

Noëmie C'est donner encore une valeur aux systèmes périssants.

Gustav Alors nous errerons sans but, au long de promenades près de platanes écorchés. Le trajet de nos promenades, dessiné sur un plan, fera comme un quartier.

Mathieu Il fait encore beau mais je porte déjà l'inquiétude d'une saison trop froide. Ce sera l'hiver, il se passera peut-être quelque chose pendant l'hiver.

D. Des mois déjà, il ne se passe rien. Il se passe sans doute quelque chose mais on dirait qu'il ne se passe rien.

Gustav Qu'est-ce qui se passe ?
D. Quand je te le dirai, tu te moqueras de moi.
14 Gustav Il ne sera pas nécessaire de me donner le détail de la narration des causes et des circonstances. De toute façon, mon esprit est vide. Je suis dans la solitude du bleu.

Mathieu Je sais, quant à moi, ce qui se passe. La vie est ce mystère terrible.

Noëmie Rien n'indique vraiment cela. Juste à ce moment, rien n'indique vraiment cela.

D. Nous sommes dans la solitude du bleu de l'écriture. Ce n'est pas grave. Il y aura bien toujours quelques lignes.
Mathieu Nous pouvons constater, sans en faire un mystère, que la nature est absente du Sentier.
15 Gustav Nous pourrions oublier un temps les itinéraires secrets. je n'ai pas envie de faire ce qui est attendu. Je voulais faire le touriste. Seulement.

Mathieu Il ne fait déjà plus chaud. Quand il ne fait plus chaud, je sais que c'est déjà l'hiver. J'ai déjà dit cela, je crois.

Noëmie Je ne sais pas. Je n'écoutais pas. Je ne peux cependant jouer l'indifférence. J'imagine aussi nos promenades en hiver. Nous sommes trois. Il ne m'est pas nécessaire que j'imagine jamais aucun triangle.

D. Je sais que vous aimeriez que je vous trouve un mobile.
Gustav Ce n'est pas la peine. Je ne veux plus marcher encore.
16 D. Cette impossibilité est prévue. Ton absence est prévue jusqu'à ton éclipse totale.

Gustav Je ne veux rien accepter, même une éclipse, même une éclipse totale.

Noëmie Mais tu peux accepter les rêves, le sommeil.

Gustav Je ne me souviens pas de me rêves. Parfois un peu mais la mémoire est floue.

Mathieu Tu devrais essayer de mieux te souvenir. Dans les rêves, il y a un monde infini qui cause.
D. C'est le tournant de l'été. Je ne sais pas si nous aurons terminé tout ce que nous voulions faire.
17 Mathieu On ne termine jamais rien. Nous ne sommes jamais notre propre fin.

Gustav Tu fais comme si tout cela était facile.

D. Nous pourrions aller sur les Champs-Élysées, jouer avec les touristes. Regarder les touristes comme des hordes. J'aime ce jeu. Les hordes de touristes guérilleros m'attaquent sans cesse de leurs phrases toutes faites.

Mathieu Les Champs Élysées rêvent de Paris et l'odeur du rêve des touristes me fait tourner la tête, un peu écoeurant, mélange de chocolat et de désir inavoué.

Gustav On pourrait opposer à cela la solitude. Et si l'on regarde bien, et si l'on regarde mieux, l'oubli fait dans nos coeurs concurrence à l'oubli.

Noëmie J'ai bien des raisons de reconnaître que cette idée n'est pas quelque chose de fictif. Qu'est-ce cependant que l'oubli ?
Gustav C'est un horoscope.
18 Mathieu On ne fait jamais plusieurs horoscopes en même temps. Nous sommes quatre et nous sommes liés.

Noëmie Nous avons voyagé. Nous sommes en vacances du voyage mais les vacances sont terminées. Nous les retrouverons dans le sommeil discret du soir. Nous étions en vacances pour très peu de temps.

D. Les vacances, nous concernant, je sens combien c'est absurde.

Gustav Je me sens parfois en vacances dans le sommeil discret du soir. Hier, dans le bois de Boulogne, une cigarette fumait encore, avec un peu de rouge à lèvre abandonné. Cette scène brève était comme un paysage de vacances. Il y a beaucoup d'autres choses.
Mathieu Les vacances, c'est ce que je ne peux pas oublier. Les gens n'oublient pas leurs vacances. Le reste du temps est dans leur mémoire, dans leur oubli.
19 Gustav Pourtant, un soir, on voyait à peine le ciel. Je ne sais plus pourquoi. Alors, de ce soir-là, et de cette journée-là, il ne reste rien que de très ténu.

Mathieu On en revient toujours là, juste pour dire après, que rien n'est plus possible.

Gustav C'est possible puisque c'est ma vie. Je n'ai donc rien inventé.

Noëmie Je me souviens, un jour moi aussi, je n'entendais plus le désir de rien.
D. Vous êtes pourtant des personnages. Vous n'êtes pas les avatars d'un jeu vidéo. Vous avez en conséquence accès au désir.
20 Gustav Je crois un jour avoir eu accès au désir. Ensuite, tout est devenu autre chose.

Mathieu Moi aussi, j'ai su, un temps, un temps donné, un temps encore donné, par le passé.

Noëmie Sans doute, parmi les perceptions de cette sorte, certaines étaient bien réelles. Je me souviens, sans pouvoir bien savoir ce qu'il en est.

Mathieu C'est cette vieille rêverie qui rend vieux.

Gustav Le désir est comme une photo de vacances. Les promeneurs jouent à l'été. La photo pourrait bien s'écrouler sur elle-même.
D. Comme vous voulez... Je me mets en vacance, en plus grande vacance.
21 Mathieu Je croyais que tu n'aimais pas les vacances.

D. C'est vrai. A chaque fois, c'est mon coeur qui se demande ce qu'il fait là. Je n'y trouve rien sinon quelques idées pour ici et là une image, appauvrie.

Gustav Il y a parfois aussi les paysages et la perspective mise en perspective.

Noëmie On regarde le paysage. c'est un paysage inconnu et soudain, on ne peut plus y accorder moins d'importance. qu'au plus cher des paysages que l'on connaît depuis si longtemps.

D. À quoi bon les paysages quand il n'y a jamais personne, à aucun voyage, à aucune gare. Partir en vacances devient une Injonction paradoxale.

Gustav Injonction paradoxale : ce sont des mots révolutionnaires.
D. Alors, il faudrait une autre révolution.
22 Noëmie Je pourrais sans doute faire la révolution si les images des choses sensibles n'assiégeaient de toutes parts ma pensée.

Mathieu Nous devons bien tromper l'ennui.

D. Voyager permet de prendre du recul. La littérature peut alors commenter la géographie. Il n'est pas besoin d'aller loin pour être en recul.

Gustav Je retourne à reculons dans les rues de la rive droite. L'absence de soleil sur la peau me désole. Rien ne fait signe.

Mathieu Tu fais signe.
Gustav Éparpillant l'énergie, je donne un signe effacé déjà.
23 Mathieu Pourtant, je n'ai pas rêvé. Tu existes bien et par là-même, tu fais signe. Par ce signe, tu m'apprends.

Gustav Nous ne sommes pas là pour apprendre. Nous ne sommes même pas là pour exister.

Mathieu Je ne dois pas m'inquiéter. Nous avons placé autour de ton existence tout un appareillage textuel.

Noëmie Qu'y a-t-il en effet de plus manifeste par soi-même que ceci ? Ces mots, ces phrases, nous.

D. Nous prenons du recul. Nous ne prenons pas de distance. Nous ne prenons pas de distance avec toi. Car prendre du recul n'est pas nécessairement prendre de la distance.
Gustav Je m'en moque. je sais seulement que la fraîcheur du bois dépasse les odeurs de la ville proche. Il me reste à détourner légèrement le regard.
24 Mathieu Je sais que tu aimes marcher dans les villes, tardant le soir jusqu'à tomber.

Gustav Je marche car nous sommes juste immobilisés, immobilisés dans une impossibilité qui dure. Pourquoi avoir perdu tant de temps ?

D. Nous allons partir dans une semaine à Ankara en voiture. Le voyage reprend.

Gustav Je ne comprends pas cet acharnement. Cette convocation est un trouble de l'existence. Sommes-nous certains de la direction du voyage ?

D. Oui, nous sommes certains de tout cela. Le voyage nous permet le recours à la poésie, au sentiment poétique, parfois.
Noëmie Je doutais moi aussi de ce voyage, de sa pertinence, de son effet et je doutais aussi de la destination. Pourtant, à présent, non seulement j'en suis certaine, mais en outre je remarque aussi que la certitude de toutes les autres choses en dépend.
25 Gustav Cela fait presque un demi saros que nous nous préparons à exister. Nous ne pouvons pas encore prédire notre éclipse. Et il faut se maintenir dans la fiction d'une fiction fictive qui ne commence pas.Nous sommes des personnages à mourir.

Noëmie Je ne peux pas ne pas croire que c'est vrai.

Mathieu Qu'est-ce qu'un saros ?

Gustav C'est une période de 6585 jours (18 ans et 10 ou 11 jours).

Mathieu C'est assez court. C'est bien assez long aussi. J'ai décidé de ne plus énerver ma vie à passer le temps à courir, à tirer les cornes du temps.

D. Je vous ai cherché tout le dimanche passé. Il n'y avait personne. Le dimanche est nuit entière.
Mathieu Nous étions là, pourtant à dire bêtement la vérité bête, comme l'annonçait Péguy.
26 Gustav De cette vérité bête, je ne regrette rien. Je regarde là-bas, je regarde un peu plus loin et il y a le ciel et le sentiment envahi qu'il n'y a rien à faire. Je n'ai plus de promenade à faire dans Paris.

Mathieu Je peux considérer alors face à face la certitude absolue de ma mort à venir et n'en éprouver ni peine ni angoisse.

Noëmie Respect. Je pense à ma mort, aussi.  Il peut toutefois facilement arriver que je doute de sa vérité.

D. Je ne sais que vous dire. Il n'y a rien que vous vouliez vraiment faire.
Gustav Le petit prince demandait qu'on lui dessines un mouton. Et toi, qu'est-ce que tu me dessines sinon la certitude d'une fin infinie.
27 D. Je te dessine ce que je crois percevoir avec la plus grande évidence possible.

Mathieu C'est exactement ce que je veux faire plus tard.

Gustav Je passe tout le jour à me souvenir de tous les jours. Je ne sais rien de ce que tu pourrais dire de cela.

Noëmie Je pourrais dire quelque chose. C'est, nécessairement, le même monde.

Gustav Presque. Déjà vu, plusieurs fois.
D. Il faudra pourtant bien revenir au texte.
28 Mathieu Ce n'est pas ta responsabilité. Ce n'est pas ta seule responsabilité. Notre histoire n'est pas encore révélée.

D. C'est une maquette. Que retiendra-t-on de tout cela ?

Noëmie On retiendra nos voix. Car c'est la voix qui s'étend, qui ponctue qui est là et à laquelle il convient de prêter toute l'attention. J'ai de cela une vraie et certaine science, et non seulement de cela.

Mathieu Mais ce n'est pas un livre. Cela ne fait pas un livre.

D. Les livres ne penchent pas encore de mon côté.
Gustav Je ne sais pas de quoi vous parlez. Je veux me reposer de force.
29 Mathieu Tu ne peux pas ignorer cependant qu'en ce moment, juste en ce moment, exactement, en dehors d'ici, en dehors de nous, ailleurs, dans un autre temps qui serait le temps d'autres histoires, qui serait le temps des gens, des autres gens, un cyclone porte ton nom. Gustav. Comment dis-tu que tu t'appelles maintenant ?

Gustav Je pourrais aussi porter le nom d'une saison dont on s'amuserait. Nous regarderions passer la saison entière d'une fenêtre qui donne sur le ciel en pente. Mais je ne suis pas certain d'avoir aucune patience, la patience nécessaire pour concevoir mon rôle. Je suis peut-être seulement un jouet. 

Mathieu Qu'est-ce que l'on dirait alors de toi ?

Gustav Que j'ai été fait tel que je me trompe souvent.

Noëmie Tu n'es pas seul à te tromper. Nous sommes stigmatisés par les mêmes injonctions.
D. Un cyclone, juste un cyclone et tu ne dis plus rien de l'amour.
30 Gustav Je ne dis plus rien de l'amour. Encore une fois les mots me manquent. Le mot amour, sans doute. Avec d'autres après lui, je ne sais rien.

Mathieu Nous allons partir en voyage et nous retrouverons peut-être des mots.

Gustav Nous irons à Lisbonne ?

Noëmie Nous n'irons pas à Lisbonne. Nous irons le long d'itinéraires calculés le long de cartes pour toujours imaginaires.

Gustav Je crois que j'aime les voyages qui vont et viennent, qui dansent un peu.

D. Pendant les voyages, il est possible de se prendre au jeu et de sortir de l'imagination du passé. J'imagine d'autres temps. Tu pourras oublier tes symptomes.
Mathieu Il y a des êtres qui agissent en symptômes.
31 Gustav Ce n'est pas important. L'errance revient demain.

Mathieu Ce sont de nouvelles flèches, d'autres signes.

Noëmie Le paysage, le point de vue, le panorama. L'histoire, la grande histoire, la petite histoire.

D. Vous êtes toujours ainsi avant le départ en voyage. La soirée se termine dans quelques balbutiements. Et si je vous demande si cela va durer longtemps encore ?

Gustav Je me demande si cela va durer encore. Je vais partir avec vous, sachant désormais qu'il n'y a donc rien d'autre que cet autre dérobé.

Noëmie Moi je réponds, que je n'avais eu d'aucune de ces choses une perception claire et distincte.
D. Mais il y a encore cette soirée, la soirée de maintenant et vous vous souviendrez qu'il faisait assez chaud pour pouvoir rester en chemise et laisser le vent se mettre sur la peau.





vers le mois de septembre 2008