avril
2008 |
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vers le mois
de mai 2008
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1
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D. |
Je
n'arrête pas d'écrire ces jours. Venise
me revient en tourbillon dès que je suis à Paris, la ville
évanouie, longée
sans cesse par ses lidos, une Italie qui n'en revient pas. |
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Mathieu |
Nous
ne sommes pas allés à Venise. Il
n'y avait rien d'autre que de la solitude. |
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D. |
Nous
sommes quand même allés à Venise. Sans
cette interprétation-là, ce serait terrible en effet, ce
serait une terrible solitude. Nous sommes donc allés à
Venise. C'était notre temps de Venise, comme un infini. |
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Noëmie |
Il
n'y a pourtant pas ici de progrès à l'infini. |
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Gustav |
Il
y avait ce temps du désir
enfermé. Le
temps ne connaît pas de pause. |
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Noëmie |
Poisson
d'avril ! |
2 |
Noëmie |
Et
plus je mets de temps et de soin à examiner toutes ces choses, plus
je trouve de clarté et de distinction dans la connaissance de
leur vérité. |
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D. |
Et
plus je mets de temps, plus c'est le
temps inquiet. |
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Mathieu |
Il
n'y a pas de temps inquiet. Il y a juste le temps. Il
n'y a rien d'autre. Avec
un petit peu de silence, silence, silence, la vie s'achemine vers le
silence. |
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D. |
C'est
comme tu veux. |
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Gustav |
Sans
le temps, mais avec le silence, je me suis promené. Je suis entré
dans une église. Je
suis resté caché derrière une colonne, espérant
vaguement que j'aurai la grâce. J'aurais
voulu retrouver aussi le froid de la colonne sur mon front. Et
c'est
ainsi que la journée
se passe de trottoirs en trottoirs et tu regardes les dates et tu
regardes
le vent. |
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Mathieu |
C'est
bien. |
3 |
Gustav |
C'est
sans doute bien. Je
n'en
finis plus de voir Paris et de comparer indécis cette idée,
ces souvenirs et une Italie d'hiver qui me glace au souvenir. Et
pourtant les journées restent blanches. |
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Mathieu |
C'est
le temps. |
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Gustav |
Le
temps dégradé. |
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Noëmie |
Il
est difficile, il est trop difficile de savoir vraiment ce qui se dit. |
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D. |
C'est
le moment pénible où les personnages comprennent qu'ils sont
enfermés, qu'ils sont fixés là et qu'il va falloir
qu'ils nouent puis dénouent quelque chose, quelque chose qui ressemble
à une histoire, quelque chose qui puisse susciter de l'intérêt,
car ils sont là. |
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Noëmie |
Si
au contraire il ne se rencontre en moi aucune idée qui soit telle,
je n'aurai absolument aucun argument qui me rende certain de
l'existence
d'aucune chose différente de moi. |
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Mathieu |
Tu
habites le fil de ces textes et de ce temps qui me passe. |
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Gustav |
Je
ne sais pas de quels textes tu parles. On
se retrouve dans le centre ?
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4 |
D. |
Je
ne peux pas. Je dois écrire. L'éditeur
me demande de lui envoyer quelques phrases, un plan, un chapitre.
Je
ne vais pas aller avec vous cette fois. |
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Gustav |
Le
contrat précise que tu dois rester avec nous. Il précise
en fait que tu dois rester avec moi, comme Mathieu et Noëmie l'ont
fait cette autre année, auparavant. Il précise aussi que
tu dois écrire des histoires, faire Vivre
des histoires hasardeuses et entrecroisées sans que jamais cela
ne soit vraiment engageant. |
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Mathieu |
Mais
on ne sait pas quelles sont ces histoires. Jusqu'à présent,
on ne le sait pas. |
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Gustav |
Elles
racontent qu'il y a d'autres
hommes semblables à moi. |
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Noëmie |
Nous
sommes tous d'accord sur cela. |
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D. |
Qu'est-ce
qui fait dès lors que cette unanimité inquiète, étonne
et puis inquiète, étonne et soit rendue suspecte ? |
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Gustav |
C'est
qu'il n'y a pas de rencontres. Il n'y a de rencontres que dans les
rêves.
Parfois dans les rêves de Mathieu. |
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Mathieu |
C'est
sans doute cette rencontre qui a été annoncée par
le rêve de la nuit dernière. |
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D. |
Mes
personnages ne rêvent pas. |
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Mathieu |
La
violence. |
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Gustav |
Viens.
Ce ne sera pas très
long ni très douloureux. |
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D. |
Non,
je ne peux pas. Je
suis
fatigué et je dois donc planifier. |
5 |
Gustav |
Je voudrais savoir, je
voudrais
comprendre ce que tu écris. Est-ce que tu écris sur nous
? Je crois que tu devais écrire sur nous car personne
ne sait ce que l'on pourrait bien dire et faire. |
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Mathieu |
Tu devrais écrire
ce que l'on ne sait pas, ce que personne ne sait. la
chienne du restaurateur du square est morte, un soir, à mesure que
tout s'écroulait autour d'elle dans un bruissement que rien ne pouvait
arrêter. Tu pourrais raconter cela. Tu pourrais raconter aussi un
peu de temps qui bouge, se confond avec Venise, une marche sous la
pluie,
dans la couleur verte et mauve de la pluie vénitienne. |
|
Noëmie |
Tu pourrais écrire
sur les gens, sur les autres, sur les autres hommes. Pour
ce qui est des idées qui donnent à voir d'autres hommes,
ou des animaux, ou des anges, je reconnais sans peine qu'elles peuvent
être formées par composition à partir de celles que
j'ai de moi-même. C'est Descartes. |
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Mathieu |
C'est
comme si l'imagination ne devait jamais s'arrêter. |
|
Gustav |
Nous appuyons ton
écriture
avec des refrains, Comme
une chanson, comme une mauvaise chanson. Mais
il reste l'émotion. Il
ne faut pas trop s'en inquiéter. |
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D. |
Je vous remercie. Je ne
sais pas ce que je vais planifier de cette fatigue. Je
vais m'en aller dans le réel de l'action et je vais dormir peu et
vivre vite et Je
ne
sais pas si je vais me souvenir longtemps du spectacle. |
6 |
Gustav |
Moi, je
me prépare à plus de poussière. Pas
besoin d'écharpe. Pas besoin de chapeau. Il faut laisser la
poussière recouvrir les yeux, le corps tout entier, comme dans le
voyage. |
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Mathieu |
Qu'est-ce
que tu as fait hier ? |
|
Gustav |
Comme
le soir tournait à la pluie, je suis rentré et j'ai dormi. |
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Noëmie |
Il
est rentré. |
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D. |
Mais
il n'avait pas vu grand chose. |
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Mathieu |
Il
n'est pas venu. |
|
Gustav |
Le
temps n'est pas venu. |
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Mathieu |
De
quel temps s'agit-il ? |
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Noëmie |
Alors
le résultat de cette question mal posée, de cette mauvaise
question mal posée est édifiant, est très édifiant.
Les personnages ne font rien. |
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D. |
Est-ce
une démission de penser, de laisser penser de laisser croire, de
faire semblant de penser qu'ils vont faire, comme à leur habitude,
juste ce qu'ils veulent ? |
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Noëmie |
Cela
viendra. |
7
|
Noëmie
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Car
si je les inspecte plus à fond et si je les examine chacune de la
même façon que j'ai hier examiné l'idée de la
cire, je remarque qu'il y a seulement fort peu de choses que je
perçoive
en elles clairement et distinctement. Ils sont comme les choses.
Nous
n'en savons rien. Nous n'y pouvons rien. |
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D. |
Ils
sont dans un sommeil et les
mots réveillent un peu le sommeil, l'agacent, l'aguichent, l'attirent
vers le jour. |
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Noëmie |
C'est
encore une chance. Dans tous les cas, je
reste là où je suis et je ne vais pas céder. Nous
partirons ensuite tous ensemble. Il
y a quelques vues, quelques perspectives qui me manqueront. |
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Gustav |
Je
me promène dans la ville, impatient sans impatience, bougeant bougé
et indécis. J'essaie de me souvenir. C'est
bien ce visage qui revient. |
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Mathieu |
Jusqu'au
matin. Ce
sont
bien les oiseaux que j'entends en rentrant. |
8
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Mathieu
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Ensuite, Je
ne me réveille que pour m'endormir encore jusque loin dans la journée
qui me démange. Je
commence la journée par des chansons de variété et
des images d'Égypte dans la tête. Puis le
temps s'accélère en petites choses à faire, savoir
si le ciel est bleu encore, s'il pourrait pleuvoir avant la fin de la
journée. |
|
Gustav |
Le
temps de ce temps ne me plaît pas du tout. J'ai même un
peu froid. |
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Noëmie |
S'il
se trouve vrai que le froid n'est rien d'autre qu'une privation de
chaleur,
l'idée qui me le représente comme quelque chose de réel
et de positif sera dite à juste titre fausse. |
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Mathieu |
On
sait combien de temps ? |
|
Gustav |
Il
n'y a aucune possibilité de se tromper. Il
n'y a aucun moyen de savoir combien de temps. |
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D. |
Alors
il y a la ville, les
grondements
de la ville, nombreux, avec la stridence urbaine, aiguë, avec
l'agitation
urbaine, urbanisée, vive. , Les
grondements de la ville ne livrent pas leur sens. Il n'y a pas de
temps,
il n'y a pas de sens. |
9 |
Gustav |
Je
ne sais plus comment faire. |
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Mathieu |
Ne
plus jamais penser à autre chose. Aussi
avec ferveur. Ce
n'est
même pas une intuition. |
|
Gustav |
Le
bus faisait défiler Paris à contre jour. |
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Noëmie |
Il
s'agit de la question du voyage dans le texte. Le
luxe de l'impression de quotidien dans le dépaysement. |
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D. |
La
fausseté matérielle. |
10 |
Gustav |
Je
suis revenu à pied à l'hôtel. J'ai bien regardé Le
paysage de Paris. Le
soleil et la pluie et le soleil encore puis la pluie. |
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Mathieu |
C'est
le centième jour de l'année. Mais
sans doute est-ce encore un mensonge. |
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D. |
Le
texte défile et se dévide. Personne
n'a dit que ce serait facile. |
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Noëmie |
Mais ce ne sont que des
idées. Ce ne sont que quelques idées, qui se mettent en marchent
et puis qui s'arrêtent. De ces idées nous ne savons rien.
Elles ne donnent aucune solution et la logique n'est d'aucune aide et
les
sens ne sont d'aucune aide. Ainsi,
par exemple, les idées que j'ai de la chaleur et du froid sont si
peu claires et distinctes que je ne peux pas apprendre d'elles si c'est
le froid qui est seulement une privation de chaleur, ou la chaleur une
privation de froid, ou si les deux sont des qualités réelles.
Pourtant, ce sont tout aussi bien des idées sans qualité. |
11 |
Gustav |
Ce sont des idées.
Ce sont des rêves. Ce sont des rêves de la nuit. Ce ne sont
même pas des événements. C'est
incongru. |
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Mathieu |
Puisque
nos rêves de la nuit ne sont pas des événements, puisque
la tendresse de nos rêves n'est pas relatée dans les journaux,
alors la tendresse de nos rêves peut encore courir un peu. |
|
Gustav |
L'angoisse
peut parler encore. |
|
Mathieu |
Cela
est si amusant, le fantasme. Comme
si c'était un jeu, comme si je jouais avec toi. |
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D. |
Je
ne reconnais pas le texte. Je ne reconnais pas mon texte, comme s'il
était
de quelque auteur
différent
de moi. |
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Noëmie |
C'est
un peu la nuit. Tout
le
soleil ne reviendra pas. Il
va falloir que je rentre. |
12 |
Mathieu |
Je
pars bientôt moi aussi et vers d'autres découvertes amusées.
Je vais rentrer avec toi. Regarde, le
ciel se lave. |
|
Gustav |
Que
faire pour déplier le présent ? |
|
Mathieu |
Il
faut sans doute oublier le temps qui passe et refuser toute conversation
sur les jours et leur course idiote. |
|
Noëmie |
Ces
idées-là, il
n'y a pas d'autre cause à leur présence en moi que le défaut
de ma nature. |
|
Mathieu |
Tu
es là toi aussi. Je
me demandais si je devais justifier ta présence. Mais tu accomplis
ta tâche. Et lui qu'est-ce qu'il fait ? |
 |
D. |
Je
fais ce texte. Je fais toujours ce texte, et Avant
le texte, c'est déjà le texte. Et
qu'est-ce qu'il y aurait après le texte, sinon le texte... |
13 |
Noëmie |
J'ai
déjà entendu ça. |
|
D. |
Je
les pousse, je les tire, je les emmène comme un auteur sait emmener
les personnages, comme il sait emmener ses personnages. Mais je
peux tout aussi bien les laisser, les laisser là, les laisser comme
on quitte une pièce en laissant le téléviseur allumé,
comme on le laisse défiler ses images, ses pauvres images qui dès
lors n'intéressent plus personne. |
|
Noëmie |
Tu
ne le peux pas. Tu es aussi sous contrat comme je suis sous contrat. Tu
dois continuer à être leur auteur. Tu dois continuer à
faire semblant d'être leur auteur. |
|
D. |
Je
les invente en partie. Il
me semble que pour une part j'aurais pu emprunter à l'idée
de moi même. |
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Noëmie |
Nous
sommes désormais en Inde. |
|
Mathieu |
Oui,
nous sommes en Inde. Il
faudra accepter cette porosité avec le monde, et les yeux constatent,
et les oreilles constatent, et la bouche constate, et la peau, couverte
ou dénudée, constate aussi la porosité, la grande
fragile porosité avec le monde, avec le monde entier, entièrement,
provisoirement le monde. |
 |
Gustav |
Je
me rappelle les corps qui se pressent sans encombres. Si
je rassemble tout ce que je sais de ce pays, cela ne fait presque rien.
Les
lucarnes de la pièce renvoient toujours le même ciel de printemps. Je
vais dormir tard. |
14 |
Mathieu |
Si
je partais maintenant, je n'aurais vu l'Inde, un peu, que la nuit et
les
gens me sembleraient des ombres et le pays entier comme une ombre lui
aussi.
J'aurais dû m'entraîner à l'Inde. |
|
Gustav |
Non,
jamais. Ne pas
accepter
de s'entraîner, en prévision, par prévision, par prudence,
par anticipation. Jamais avant un voyage, même de quelques
kilomètres. |
|
Mathieu |
Tu
vois, nous
nous sommes laissé entraîner sans grande résistance. |
|
Gustav |
Je
sais. Tu
as enfin accepté de m'accompagner dans un voyage qui menace. Ton
sourire éclaire la nuit. |
|
Mathieu |
Et
toi ? Qu'en penses-tu ? |
|
D. |
Je
n'en pense rien. J'écris. |
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Mathieu |
Tu
vas ainsi occuper tout l'espace et aussi tout le temps, nous laisser
dans
les souvenirs pour te réserver ce qui vient, ce qui pourrait venir
? Pourquoi ne fais tu pas comme Noëmie ? |
|
D. |
Je
ne comprends pas ce que fait Noëmie. |
 |
Noëmie |
J'acquiers
les idées de durée et de nombre, que je peux ensuite transférer
à n'importe quelles autres choses, à vous, au voyage,
à l'Inde aussi, même à l'Inde. |
15 |
Gustav |
Je
ne connais toujours pas l'Inde. Mais c'est
un petit bric à brac indien qui s'impose peu à peu au gré
des promenades. |
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Noëmie |
Étendue,
figure, situation et mouvement. |
|
Mathieu |
Dans
la nuit des pauvres. N'oublie pas que tu
dois donner le sens, tu dois indiquer la direction. |
|
Noëmie |
C'est
pourquoi j'ai
décidé de te laisser, de marcher seule dans les ruelles. |
|
Mathieu |
Ce
n'est pas dans le contrat. |
|
Gustav |
Vous
devriez arrêter. Vous n'avez pas vu que la
journée était étale. |
 |
D. |
Il
ne s'agit ni de voir ni d'entendre, ni même de lire. Il s'agit que
cela se passe. |
16
|
Gustav
|
Je
me demande pourquoi tu m'as amené ici. Je
croyais aller à Goa au Printemps, juste pour les plages et le vin
goanais servi à grandes rasades dans les restaurants de la plage
de Canangute. Nous sommes dans cette église. La
commémoration se fête en boucle. L'idée
de Dieu m'est assez étrangère. |
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D. |
S'il n'y a pas Dieu, il
y a les mots et les
mots peuvent recoller l'âme effritée. |
|
Noëmie |
Il
n'y a pourtant pas
que les textes. |
|
D. |
Il n'y a certes pas que
les textes. Lecture
et écriture se repoussent à l'infini. |
 |
Mathieu |
Il
restera que la parole renaît. |
17
|
D.
|
Pour
que la parole renaisse, il
aura fallu pour cela que j'efface beaucoup de ces mots que j'avais
écrits
sans même y penser. Pourtant,
cependant, rien ne vient limiter l'écriture si ce n'est cette idée
bâtarde que l'on pourrait être lu et que l'on pourrait être
aimé. |
|
Noëmie |
Et
aussi tout autre existant. |
|
Mathieu |
Tout
autre existant ? Ce serait oublier que Le
temps des images vient, obscur, endormi un peu. Rien ne peut
expliquer
les images. J'ai beaucoup d'images. Je vis avec beaucoup d'images. Le
plus souvent, le moins souvent, je classe, je range, je range, je
classe,
j'enferme, je plie, je déplie et je replie, le plus souvent, le
moins souvent. Cela ne sert à rien. |
 |
Gustav |
Vous
pourriez arrêter ? Ce
voyage n'a rien arrangé, rien dérangé non plus. Je
suis à Badami. Je ne sais pas très bien où c'est.
Vous continuez à parler comme si de rien était. C'est une
bizarrerie que je ne pourrai sans doute pas expliquer. |
18
|
Mathieu
|
Je
voulais aller à Bangalore, comme une fausse réminiscence.
Mais c'était pour toi, pour que cette fausse réminiscence
soit soudain ton souvenir. Je voulais aller à Bangalore pour que
tu retrouves le souvenir. Il
n'y avait jamais eu que cette destination, que ce retour, car les
départs
étaient sans différence, étaient indifférents. |
|
Gustav |
Je
regarde les passants qui vont et viennent. La
bonne conscience s'étale, la bonne conscience d'être du bon
côté. La bonne conscience est un objet. Il
y a autour de cet objet affreux quelque chose d'un défi faussement
viril et agressif. Je pourrais me retrouver à me regarder en
cet objet affreux de la bonne conscience. |
|
Mathieu |
Il y a une colline. Il y
a la colline. La
colline bleue, souvenir diffus. Et le souvenir est désormais
parfait. |
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Noëmie |
Toutes
perfections qui, assurément, sont telles que, plus j'y applique
mon attention, moins il me semble qu'elles puissent être venues de
moi seul. |
 |
D. |
Vous voyez... Quand
on cherche bien, si l'on cherche bien, l'écriture se fait légère. |
19 |
Noëmie |
Nous
avons promis de reconstruire des souvenirs, de construire de nouveaux
souvenirs.
C'est ainsi que l'on peut continuer
de rêver quand il n'y a plus de rêve. |
|
Mathieu |
Explications
faciles. Nous avons un peu oublié notre mission depuis que nous
sommes en Inde. Mais nous avons encore un peu de temps. |
|
Noëmie |
A
maints égards, c'est encore le matin. |
|
Mathieu |
Dehors,
le bruit n'a pas cessé. |
|
Noëmie |
Ce sont en effet des explications
faciles. |
|
Mathieu |
Pour construire de
nouveaux
souvenirs, je
me donne l'autorisation de piller le temps, ce temps imaginaire. |
|
D. |
Alors, il
faut conclure. Il faut conclure encore. Nous allons prendre le
train.
La gare de Mysore est
peut-être une
gare de séparations. |
 |
Gustav |
Vous faites des efforts
pour mes souvenirs. Mes souvenirs font cependant moins d'efforts que
vous. |
20
|
Mathieu
|
Tu
ne te souviens pas mais la
ville continue de penser à toi. Nous sommes venus à Madras, imaginant
une ville entièrement recouverte de foulards bariolés et
des promenades les yeux bandés. Tous
les envoyés spéciaux de tous les médias du monde
n'ont pas couvert
l'événement. La ville est comme les souvenirs, c'est un
endroit qui permettrait que nous nous perdions. C'est une idée
de substance infinie. |
 |
Gustav |
Cette
nuit, je ne dormirai pas. Une nuit, une
fois, une seule fois, je ne dormirai pas. Quant aux souvenirs, je
ne sais pas vraiment, pas réellement, pas toujours, jamais, presque
jamais. |
21
|
D.
|
Tu
sais, c'est pour toi que j'écris. je t'écris des souvenirs
et encore d'autres souvenirs. Tu
sais, je m'adresse à toi, dans un monologue épuisant.
Je regarde ta vie et il
n'y a pas grand chose qui danse, et qui chante. Je trouve cependant
du chant et de la danse et je les trouve dans l'écriture pour toi. |
|
Noëmie |
Il
écrit et son écriture
prend des risques, ceux de l'injustice, de l'emporte pièce, de l'erreur.
Il écrit pour toi, parfois dans la
contradiction aiguisée. |
|
D. |
De
tout ce travail, il ne
demeurera que des questions et de la lassitude. |
|
Noëmie |
Il
écrit et alors le
temps passe, infini. |
|
Gustav |
Il
faut m'écrire alors des anti souvenirs. Vous savez que Je
perçois le repos et les ténèbres par la négation
du mouvement et de la lumière. Je ne perçois les souvenirs
que par l'oubli et non par la négation de l'oubli. |
 |
Mathieu |
So
nice. |
22 |
Mathieu |
C'est
infini, nous sommes partis. |
|
Gustav |
Nous
sommes presque comme ceux
qui sont dans la vie. Regarde la ville. Hyderabad est comme les
autres
villes. La nuit
de la ville n'est plus qu'alignements, à jamais. |
|
D. |
Il
faut chercher la cause
des petits traumatismes. Hyderabad
: l'alliance des lettres qui composent le mot me laisse imaginer qu'il
y aura trop de quelque chose, de tout. Mais je
n'ai mangé que de la pizza, remettant à plus tard le texte
que je dois absolument écrire, les textes que je dois absolument
écrire. |
|
Gustav |
Je
regarde les fils téléphoniques. Je regarde les gens qui téléphonent
dans la nuit de leur téléphone mobile. Personne
ne peut penser que les mots qui traînent le long des lignes
téléphoniques
et des ondes si courtes qui chauffent les oreilles ne disent autre
chose
que le babil doux et trouble du désir mêlé au temps.
Je ne connais pas le désir. |
 |
Noëmie |
Comment,
en effet, connaîtrais-je que je doute, que je désire, c'est-à-dire
qu'il me manque quelque chose et que je ne suis pas entièrement
parfait, s'il n'y avait en moi aucune idée d'un être plus
parfait par rapport à quoi je reconnaîtrais mes défauts
? |
23 |
Mathieu |
Je
n'ai pas pleuré. |
|
Gustav |
C'est
normal. Malgré tout, le
rythme de dégradation dans la mémoire de l'angoisse est curieusement
rapide. On ne se souvient jamais de l'angoisse. Cela évite de
pleurer. |
|
D. |
Nous
devons retourner vers l'Inde. Ce voyage est un voyage pour se
détourner de l'angoisse. |
|
Noëmie |
Je
l'ai remarqué un peu plus haut à propos des idées
de la chaleur et du froid. |
|
D. |
Vous
me fatiguez. Noëmie... Tu n'es pas obligée tu sais d'ânonner
Descartes à contre temps. Je
peux aussi changer de genre et raconter l'histoire des personnages. Je
peux écrire un article de journal, je peux faire une émission
de télévision, un documentaire, un film, un court, un moyen,
un long métrage. Je peux faire autre chose. Je suis en Inde. Je
veux aller voir enfin les palais de misère que tu m'avais décrits
et dormir aussi dans ces lits aux baldaquins soyeux. Je veux savoir
ce
qui fait cet argent et cet or. |
 |
Mathieu |
Et
si tu lisais le
journal
? |
24 |
D. |
Le journal n'offre
jamais toutes les
possibilités des
mots. Il n'y a
rien
à dire. |
|
Noëmie |
Comme
je l'ai dit auparavant à propos de l'idée du froid. |
|
D. |
Si tu veux. Si Descartes
veut. Mais ici il ne fait pas froid. Jusqu'à présent, le
temps maussade me rafraîchissait. Je ne sais plus comment m'animer
un peu. |
|
Mathieu |
Nagpur,
racontent les guides, c'est la porte du Livre de la jungle. |
|
D. |
Nous sommes allés
vite. Le
texte aussi se
précipite. |
|
Gustav |
Nous sommes allés
trop vite. Tout se mêle aujourd'hui. Le temps s'acharne à
me perdre. |
 |
D. |
Le
temps se mêle pour faire plaisir à la littérature. |
25 |
Gustav |
Mais
alors, il ne se passe rien. Pourtant, quelque
chose a changé. |
|
D. |
Je
ne crois pas que quelque chose a changé. Je
regarde mes mots qui s'effacent à mesure qu'ils s'écrivent
et personne ne les lit et personne ne va les rendre vivants à mesure
de rien, à mesure du temps. Le temps ne change pas. Je regarde
les mots. Ces mots
sont
dévoilés, ils sont dans les journaux, à la télévision.
Je regarde. Je vois double. |
|
Noëmie |
Diplopie.
C'est ainsi que cela se nomme le fait de voir double. Mais tout
ce que je perçois clairement et distinctement de réel et
de vrai est toujours unique et ne saurait être double. |
 |
Mathieu |
Vous
avez encore oublié l'Inde
qui se joue de la géographie des vos mots et de votre pensée.
De vos sentiments aussi. Nous devons aller vite. C'est
une semaine tronquée qui s'annonce. |
26
|
Gustav |
Il
faut aller vite mais je ne sais pas aller vite. Je ne peux aller vite
que
seul. Accompagné, je suis lent. Je me souviens d'avoir été
seul dans des villes, déjà, et
je me hâtais seul dans les rues à la recherche d'un hôtel.
Je me souviens d'une journée en particulier. Je me souviens qu'il
y avait des conversations. Puis je pense à autre jour et, quant
à cette journée, qui a résonné de ces explications
et de ces promesses non tenues, je n'en sais plus rien et je m'en moque.
En fait, très vite, je ne m'en souviens plus. |
|
Mathieu |
Cela
n'avance pas. Ce voyage ne sert peut-être à rien. Je me sens vieilli
déjà par la trop grande abondance de lumière indienne, et
peu importe que je ne comprenne pas l'infini des tes absences. |
|
Gustav |
Je
n'ai pas le temps de me rappeler. Chaque jour, je me dis seulement,
encore
un jour, encore une fois. |
|
Noëmie |
Mais
il y a le printemps et ses
vieux rythmes amoureux. |
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D. |
Le
printemps ne sert à rien et les journées n'ont aucun rythme. |
27 |
Mathieu |
Que
fais-tu de ces journées sans jour
? |
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D. |
Je
garde l'expression "journée sans jour". Les journées en avion
sont des journées sans jour. Je joue avec des mots que je choisis.
Ce sont aujourd'hui des variations sur la gravité... grave,
gravir. Et toi, Noëmie, que fais-tu ? |
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Noëmie |
Je
réfléchis aux oxymores. Aujourd'hui : solide
et fluide. |
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Gustav |
Dans
l'avion, je me rappelle tout ce que je dois savoir pour vivre de
nouveau
en France. Je voudrais voir des photographies de la France pour
rééduquer
ma mémoire dévoyée. |
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Mathieu |
Je
tâcherai bientôt de retrouver quelques-unes de ces photographies
sur mon ordinateur. Je te montrerai des photographies de Paris juste
avant
d'arriver, des photographies avec des drapeaux. |
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Gustav |
Je
voudrais des photographies de l'été, de Paris l'été. On
va vers l'été, on retourne vers l'été. |
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Noëmie |
Quand
je lâche les oxymores, je retrouve l'oxymore absolue : l'amour. L'idée
la plus distincte, c'est l'idée d'amour. |
28 |
D. |
Il
faut toujours que tu te laisses encombrer. |
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Noëmie |
Mais
peut-être suis-je quelque chose de plus grand que je n'en ai moi-même
l'intellection ? |
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Mathieu |
Moi, je
n'ai même plus vraiment le cœur à faire semblant. |
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Gustav |
Un
cantique. |
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Mathieu |
Vous avez désormais des
yeux plus aigus mais sans tendresse. Il faut être avec l'amour
comme serait un grand voyageur dans un avion. L'avion
vole, puisqu'il vole, et cela peut même laisser indifférent.
Prendre le regard, accueillir le regard, garder le regard et comprendre
que ce regard est
déjà un événement, est déjà cela
qui se passe. |
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D. |
C'est comme une explication
de texte. |
29
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Gustav
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Oui,
c'est comme une explication de texte, mais il
n'y a rien d'autre à raconter. En effet, qui
saurait ce qui s'estompe, ce qui s'efface, ce qui se voile dans
l'immobilité
floue du passé ? Qui pourrait le savoir ? Qui pourrait me rendre
cette idée d'exister
un peu davantage ? J'expérimente
déjà que ma connaissance s'accroît peu à peu,
et que je ne vois pas ce qui m'empêcherait qu'elle s'accroisse ainsi
de plus en plus jusqu'à l'infini. J'ai
détruit ces remparts et l'on peut en voir des ruines, dans un reste
de ma mémoire, couvertes de graffitis et de mots crus mêlés
à l'amour. |
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D. |
Parfois, La
fraîcheur des draps se substitue à ma raison. Puis une
fois Les draps repliés.,
il n'y a plus que les corps, et il n'y a plus, presque plus, parfois
presque
plus de texte. |
30 |
D. |
C'est
ainsi que j'ai proposé au texte d'aller ailleurs. |
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Gustav |
Je
crois que la
pluie a recommencé à tomber en gouttes drues puis plus fines.
Je vais pouvoir sortir, peut-être. D'habitude, je
ne dois sortir que l'hiver. Le soleil me met en alerte. |
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Mathieu |
C'est une
alerte un peu jouée. |
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Gustav |
Je
n'aime pas le jour
lumineux. Il
est plus facile, plus rapide, il est plus simple, plus instantané,
il est plus immédiat, plus direct, il est plus rassurant, en fait,
de se plonger dans la nuit. La nuit est une
tendresse sûre. La nuit est un passage à l'acte. |
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Noëmie |
À
supposer que ma connaissance s'accroisse par degrés et qu'il y ait
en moi en puissance bien des choses qui ne sont pas encore en acte... |
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D. |
Je
ne connais comme acte que le texte. |
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vers le mois
de mai 2008 |