mai 2008
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vers le mois
de juin 2008 |
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1 |
Mathieu |
C'est
cette fuite que tu poursuis. Je
le savais. Mais il n'y a pas que le texte. Tout
autour, la rue bruisse. |
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Noëmie |
Il
y a aussi la photographie. |
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D. |
Quand l'image
revient, elle rejoue le même tour. L'image est toujours une solitude. |
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Mathieu |
Il
y a encore le voyage. Il est image et texte. Rien
ne saurait s'ajouter à sa perfection. Il y a le moment où rien
ne viendrait à l'esprit que le départ docile, ailleurs. |
 |
Gustav |
Je
ne comprends pas. |
2
|
Mathieu
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Le
voyage est un
éloignement
du sens vers un autre sens. Si nous restions encore,
encore un peu, les mots perdraient tout leur sens, pourraient perdre
tout
leur sens. Mêmes des mots très simples, des mots très
habituels comme le mot rue, comme le mot trottoir perdraient le sens.
Il
n'est pas nécessaire que je connaisse la ville à
la pointe de chacun de mes doigts. Je penserais connaître la
ville et je ne connaîtrais personne et surtout, je ne saurais rien de
la tendresse de la ville, de la tendresse des êtres de la ville
qui ne seraient dès lors plus que des êtres potentiels. |
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Noëmie |
Et
enfin je perçois que l'être objectif d'une idée ne
peut pas être produit par un être simplement potentiel. |
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D. |
Descartes,
toujours. Les Méditations métaphysiques. Je ne l'avais pas
rappelé depuis longtemps. Mais
ce n'est pas pour moi important. Mon
action sur le réel aura été minime. |
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Mathieu |
Le
prochain voyage sera sans doute moins lointain. |
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Gustav |
Je
voudrais savoir où nous allons partir. Je ne veux ni m'éloigner
du sens ni m'en approcher. Je voudrais vivre un peu. |
3
|
Mathieu
|
Tu
voudrais vivre. Tu voudrais être dans la chaleur
magnifique de l'action. Tu voudrais vivre et tu poursuis ce rêve
de paix intérieure et de soleil chanté qui ne vient cependant
jamais. Tu voudrais vivre comme dans un feuilleton mais déjà,
je ne me souviens plus du titre du feuilleton. La vie, ce
n'est rien de cela. C'est parfois un petit voyage, la Bretagne où
nous allons partir, c'est un
peu de cidre sur les larmes. |
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Gustav |
Je
suis décillé.
Mais ces rêves ont aussi été nos rêves. Que faire,
dès lors ? |
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D. |
Vous
devez les oublier. |
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Gustav |
Mais
quand je suis moins attentif et que les images des choses sensibles
aveuglent
le regard de l'esprit... |
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Noëmie |
Merci. |
4 |
Mathieu |
Je
ne savais pas que tu pouvais aussi citer Descartes. Ce sont comme
des mots de miroir qui jouent. |
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Noëmie |
Et
si nous partions aujourd'hui, de qui viendrait la décision ? |
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Gustav |
De
moi sans doute. |
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Noëmie |
C'est
moins clair. La citation est trop tronquée. Mais ce n'est pas
mal joué. |
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Gustav |
Je
n'ai que des impressions
éphémères d'avoir bien joué ou d'avoir mal
joué. |
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Mathieu |
Nous
sommes sur le boulevard des théâtres. |
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Gustav |
On
ne sait plus si l'on est dans un théâtre. Je
reste ici encore un
jour. |
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D. |
Quand
tu croises mes mots, tu
me
croises. La
journée a été très douce. Nous partirons
demain. |
5
|
Gustav
|
Nous
ne sommes pas encore partis. Le voyage, ce
doit être une plus grande fête et aujourd'hui, La
nuit est au plus
sombre. Bientôt
viendra le temps du départ. |
|
D. |
J'aurais
voulu partir aujourd'hui. Je ne sais plus que faire. Alors,
j'invente des histoires qui ne sont pas à toi, qui ne parlent de
personne et qui s'inventent des événements qui ne connaîtront
jamais de suite. |
|
Mathieu |
Nous
allons disparaître. |
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D. |
Il
n'est pas vraiment question de disparition. Nous pouvons décider
nous-même de notre départ. |
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Noëmie |
Si
je tenais de moi mon être, je n'aurais ni doute ni désir. |
|
D. |
Tu
as une âme de personnage. |
|
Noëmie |
Tu
sais que tes jeux m'ennuient. |
|
Gustav |
Ne
vous disputez pas. Après les disputes, Les
visages graves se dévisagent et la honte bue, revient déjouée. |
 |
Mathieu |
C'est
vrai que la nuit est
au
plus sombre. |
6
|
Gustav
|
C'est
pour cela. C'est juste pour cela. Comme
la nuit venait, je suis parti, impatient
de sortir, d'imaginer une autre vie où cela ne se passerait pas
de cette façon presque brutale, commandée, abrutie. Je
sais que j'arriverai j'arriverai
dans la nuit, incapable de distinguer, même la brume. Je vais
essayer de changer, d'acquérir de nouvelles compétences de
vie. |
|
Noëmie |
Et
je ne dois pas croire que peut-être les choses qui me manquent sont
plus difficiles à acquérir que celles qui sont déjà
en moi. |
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Mathieu |
Des
mots. |
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D. |
Mais
il n'y a jamais que des mots. Que peut-il y avoir d'autre que des mots
? |
|
Mathieu |
Il
y a autre chose que les mots. Il y a des événements qui ne
sont pas uniquement des événements linguistiques. Il
peut même se passer quelque chose. Une promenade. Une rencontre
sur un chemin. Un salut, ce salut
qui déjoue la crainte,
la crainte obscure venue de l'enfance. |
 |
Gustav |
Et
puis après il n'y a que les mots. Je sais qu'il
y a de la solitude dans l'avenir. |
7 |
Mathieu |
Il
faudra beaucoup d'obscurité pour guérir. Les
visages autour de toi sont
figés depuis si longtemps. |
|
Gustav |
Si
du moins je tenais de moi le reste de ce que j'ai. Si je pouvais un
temps quitter la
certitude
d'être dans un temps toujours perdu, le temps qui passe toujours
perdu. Si je pouvais oublier
maintenant. ce que je dois oublier et me rappeler ce que je dois me
rappeler au lieu de faire systématiquement le choix inverse. Nous
sommes partis et nous sommes de
nouveau en voyage dans ce monde froid d'enseignes lumineuses naïves
et agressives. Il ne se passera rien. |
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Noëmie |
Tu
ne sais pas. |
|
Gustav |
Je
sais que je pars, et que je rentre ensuite, puis que je
rentre avec la peine qui marque la peine. |
 |
D. |
Vous
voudriez que j'écrive quoi ? |
8 |
Mathieu |
Tu pourrais écrire
des souvenirs d'enfance. |
|
Gustav |
Je
me rappelle un jour, la bille était restée dans la gouttière. |
|
Mathieu |
Tu pourrais écrire
que l'on ne change pas avec le temps. |
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Noëmie |
Je
n'échappe pas à la force de ces raisons en supposant que
j'ai peut-être toujours été tel que je suis à
présent. |
|
Mathieu |
Tu pourrais écrire
que le temps passe. |
|
Gustav |
Le
souvenir des morts se dissout dans la mort. Il faut laisser
loin le cortège de leur souvenir. Les
dates ne disent pas davantage. |
|
Mathieu |
Tu écrire un texte
de promenade, une
promenade de conversation et d'arrêts. |
 |
D. |
Mais je
vous regarde jouer sans
fin les jeux de la conversation et du commentaire. Je suis frappé
par la présence intense
de l'absence. Pour un peu, je ne pourrais plus écrire au contact
de cette absence-là. |
9 |
Gustav |
Je
regarde toute cette absence. |
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Noëmie |
En
effet, tout le temps de la vie peut être divisé en d'innombrables
parties, dont chacune ne dépend en aucune façon des autres. |
|
Mathieu |
C'est
aussi comme le jour, comme le petit matin du jour, et la
mort du petit matin dans la lumière. |
|
Gustav |
Le
terrain de la vie est
ouvert tous les jours et libre d'accès. Mais ce n'est pas vrai. |
|
Mathieu |
Regarde
autour de toi. Ce sont les
lieux qui te connaissent maintenant. |
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Gustav |
Pendant
un temps, cela m'aurait inquiété, cela m'a amusé. Je
ne voulais pas m'arrêter. Je voulais recommencer. |
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D. |
Il
y aurait l'idée d'une éclosion, il y aurait l'idée
que du texte viendrait soudain quelque chose de plus fort, une plus
grande
force, quelque chose qui retiendrait la main, qui retiendrait le souffle. |
10
|
Mathieu
|
Aucun
chemin ne part aujourd'hui. Je
voudrais que l'on me relève. Je cherche la relève. Le
souvenir même devenait absent. |
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D. |
Mais
il n'y a pas de sens à donner qui puisse se donner tranquillement,
qui puisse se donner sans trouble, sans troubler, sans se troubler. |
|
Noëmie |
Si
bien que la différence entre conservation et création n'est
que de raison. Voilà
ce qui arrive de tenter, dans le même temps, d'y croire ou de ne
pas y croire. |
 |
Gustav |
Le
vent des ponts de Cancale épuise encore tout souvenir. Je
m'endors calme dans l'orage qui menace. |
11
|
Mathieu
|
Je
ne sais pas qui tu es vraiment pour
t'endormir dans
le
coeur de la chaleur des orages qui se perdent. Malgré la chaleur,
il fait un peu froid,
je
n'aurais pas dû venir et le vent ne me porte plus que quelques bribes.
des souvenirs et des voyages. Ce sont déjà des regrets. |
|
Noëmie |
Regrets,
regrets d'une tactique, regrets d'une stratégie, paroles, remords. Et
cela ne me trouble pas, et je ne trouve pas cela troublant. |
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Mathieu |
Tu
dois te souvenir. |
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Gustav |
S'il
y avait en moi une telle force, sans aucun doute j'en serais conscient.
C'est
pourquoi je dois maintenant m'interroger sur moi-même. |
|
Mathieu |
Tu
dois continuer dans
la vie qui marche et dans la vie qui court et dans la vie qui tremble
et
qui me donne à penser et à rêver ta vie, presque à
toucher la mienne, presque, peut-être. |
 |
D. |
Puis
il faut s'entourer de
personnes
qui, pendant la durée de l'obscurité totale, chercheront
si quelque comète n'est pas à l'horizon. |
12
|
Mathieu
|
Regarder
les comètes à l'horizon, c'est être dans
l'inconscience temporelle du temps. Je peux assez imaginer
l'humanité
regardant le ciel d'une comète fulgurante qui détruirait
la terre. Et je penserais que c'est
donc cela qui devait se passer, advenir. |
|
D. |
Je
ne sais plus comment penser à tes mots aujourd'hui. C'est cela
l'écriture. Tu te
rappelles les mots des autres, les mots de quelques-uns. Puis le
souvenir s'estompe, s'affadit comme plus clair, sans que l'on sache
bien
ce qui peut en venir. Parfois, il est possible d'écrire. Parfois
il n'y a que l'idée
même de pleurer de honte. |
|
Noëmie |
Mais
tu as pourtant le diplôme d'écrivain. Ce
diplôme remplace celui d'initiateur qui n'est plus homologué.
Tu as même dans la distribution des rôles, le rôle distribué
de l'écrivain. |
 |
Gustav |
Moi
je n'ai aucun rôle. J'expérimente
le doute. |
13
|
Mathieu
|
Tu
expérimentes le doute sans douter vraiment. Je connais aussi Cet
air irrémédiable que tu sais prendre lorsque tes décisions
sont prises. |
|
Gustav |
Je
peine. Je peine.
Mais
la pluie me détend. |
|
Mathieu |
Il
y a eu un moment. Ta
peine à ce moment m'a laissé froid. Ce
sera sans doute cela, ce serait cela, l'impossibilité. |
|
Noëmie |
Il
faut le laisser tranquille. Tu sais, peut-être
aussi cet être-là n'est-il pas Dieu. |
 |
D. |
Je
n'ai pas Dieu en
dépôt-vente
au magasin de l'écriture. C'est trop fragile et ça prend
trop de place. Avec Dieu, on
ne sait pas ce qui fait texte, ce qui refait texte. |
14 |
Noëmie |
Je
crois que c'est toujours possible de l'écrire. Il
faut improviser. C'est
fait pour ça. |
|
D. |
Il
faut avouer qu'elle aussi est une chose qui pense. |
|
Noëmie |
C'est
du détournement cartésien, mais c'est drôle. |
|
Gustav |
Au
cap Fréhel, je reste longtemps sur le parking. Puis je vais au
plus bas du vallon. Le
soleil aujourd'hui a proposé au soir une douceur du temps. |
|
Mathieu |
Mais
fais attention, le
texte s'embrouille de mots et d'impressions et fait tout pour te perdre. |
 |
D. |
C'est
mon travail. |
15 |
Mathieu |
Et
ce serait quoi l'événement ? |
|
D. |
C'est
n'importe quel record d'audience. |
|
Gustav |
J'ai
arrêté de m'intéresser au monde via les médias. Il
s'agissait d'une forme d'aliénation jusqu'à
ce que finalement on en arrive à une cause ultime. |
|
Noëmie |
Comment
est-ce que tu t'intéresses au monde aujourd'hui ? |
|
Gustav |
J'attends
des heures sous des abris improvisés. |
|
Mathieu |
C'est
le temps mis à
disposition. |
|
Gustav |
Mais
je fais semblant. |
 |
D. |
Je
ne sais plus rien de ce que nous nous disions. |
16
|
Gustav
|
Je sais que je
ne voulais pas parler, je ne voulais pas porter de la parole, je
voulais
rester sans aucun doute muet. Avec
tous ces mots qui se cachent, Je
voudrais penser autrement. Les mots sont des des
cibles, des
indices de soupçon, des indices d'aiguillage. Ils
peuvent s'éclipser et ne pas revenir. Faut-il préférer
les images ? |
|
Mathieu |
On
ne sait pas très bien, jamais, jamais très bien ce que l'on
photographie quand on photographie. |
|
Noëmie |
Il
est en effet assez évident qu'il ne peut y avoir ici aucun progrès
à l'infini. |
 |
D. |
Et moi qui voulais écrire. |
17 |
Mathieu |
Est-ce
que tu télé-écris dans la nuit ensommeillée
? |
|
D. |
Écrire, c'est cet
incroyable mouvement d'esprit qui me détend. Je ne sais pas
ce que je vais écrire. Et soudain, je
le sais comme il se doit. Les causes en sont diverses et l'on
ne saurait non plus feindre que peut-être une pluralité de
causes partielles ont concouru à ma production. |
|
Noëmie |
Il
y a là une erreur de méthode. Ce serait comme considérer
l'univers, regarder la lune en
supposant que 50% des étoiles possèdent une planète
de ce type. |
|
D. |
Je ne crois pas que la
lune
soit une planète. |
 |
Gustav |
Je m'ennuie. C'est
une scène sans tendresse. Je m'en vais. Je
prends la route de la côte. |
18
|
|
Je
me promène dans les rues en pente, un peu inquiet de cette solitude,
de la pluie dans la solitude et de la tristesse qui vient. Je
pense à des temps vides, à des temps morts. L'instant
doux de la douceur de ne rien vouloir. Possible. |
|
Mathieu |
Il
s'agit encore du voyage. Ces moments sont une
des principales perfections que je connais être en lui. |
|
Noëmie |
C'est ce que Descartes
dit
de Dieu. Le Dieu de Descartes n'a pas de prophète. |
|
D. |
Et
que serait une prophétie inversée ? |
|
Mathieu |
Le journal télévisé,
surtout quand le
pays ne parle que d'une seule affaire. |
 |
D. |
L'écriture aussi
est une prophétie
inversée. |
19 |
Mathieu |
Il y a deux
voies de souvenirs. Il y a le voyage et il y a l'écriture.
L'écriture en voyage est une ascèse mémorielle. |
|
Gustav |
Je
ne suis jamais vraiment parti. Je me rappelle pourtant des
jardins réels. |
|
D. |
Et
nous avons marché, nous avons marché ensemble dans le jardin.
J'aime les voyages en voiture accompagnés de musique. Parfois la
symétrie entre le paysage et la musique m'émeut. Et
la journée douce passe ainsi dans des voyages musicaux revisités. |
 |
Noëmie |
Le
champ sémantique du voyage est
maintenant entouré. Il y a l'idée
de l'unité. |
20 |
Mathieu |
Ce
sont nos parents qui nous ont donné l'idée de l'unité
de notre être. |
|
Noëmie |
Enfin,
pour ce qui touche les parents, à supposer que soit vrai tout ce
que j'en ai jamais cru, ce n'est pourtant pas eux, assurément, qui
me conservent ni même qui n'ont été d'aucune façon
la cause efficiente de moi en tant que je suis une chose qui pense. |
|
Mathieu |
Je
n'ai pas parlé de la pensée, ni même de la conscience
de soi. |
|
Noëmie |
C'est
clair. |
|
D. |
Et
pourtant notre être est
comme un moteur que l'on ne peut pas lancer. Je
ne sais rien. J'y ai beaucoup réfléchi et je
ne regrette pas ce temps de mal de crâne et de grande fatigue. |
|
Mathieu |
On
m'avait dit que tu étais là. Avant
de rejoindre la route du bas, sur la droite. |
 |
Gustav |
J'ai
dormi presque tout le jour. |
21 |
Mathieu |
La
journée s'est passée calme. |
|
Gustav |
C'est
la première fois que j'aime attendre. |
|
Mathieu |
Je
t'imagine pauvre, remontant la grève et chantant un air oublié
comme un poème romantique, déclinant la gamme, mineure et
sinueuse. J'ai presque vu ton souvenir. Je
ne l'ai pas photographié. |
|
Gustav |
Où
irons-nous ? |
|
Mathieu |
Ce
sera n'importe quel autre lieu où porter la mémoire, la nouvelle
mémoire. |
|
Noëmie |
Il
me reste seulement à examiner comment j'ai reçu de Dieu cette
idée. |
|
D. |
Je
me rappelle quand il souffrait. Je me rappelle aussi son
incrédulité devant tant de douleur. |
 |
Gustav |
Noir.
Blanc. Il faut parier. Il faut parier sur Dieu. Il faut parier sur
la mémoire et sur le souvenir aussi. Il faut parier sur la douleur
et sur l'attente de la douleur aussi. Noir.
Blanc. |
22 |
D. |
Just
the same or different. |
|
Noëmie |
Il
n'est pas non plus nécessaire que cette marque soit quelque chose
de différent de l'ouvrage même. |
|
Mathieu |
Je ne comprends pas. |
|
Noëmie |
Lorsque
je retourne sur moi-même le regard de l'esprit. |
|
Mathieu |
Je ne comprends pas. |
|
Noëmie |
Lorsque
je retourne sur moi-même le regard de l'esprit, c'est comme une
éclipse. Je ne sais pas le raconter. Il
reste peu de récits de l'éclipse. Il reste peu de souvenirs. |
|
Mathieu |
J'ai
vu dans le jardin que tu marchais au soleil, que tu faisais semblant de
regarder le ciel, qu'il ne manquait que les oiseaux dans le paysage
faux
que tu dessinais. |
|
Gustav |
Je
me rappelle les bancs du jardin, et leurs lattes rondes. La
côte de la Pointe de Minard dépêche tous les chemins
de promenade. |
 |
D. |
À
ces rues, nous opposerons le souvenir. |
23
|
Mathieu
|
Mais
la vie rend le voyage impossible. Il y a très
peu de temps pour se souvenir et très peu de temps aussi pour
voyager. Déjà, je
ne sais plus bien ce qui a pu marquer le jour. |
|
Noëmie |
Mais il est possible
d'écrire,
n'est-ce pas ? |
|
D. |
J'essaye d'écrire un
texte de vacances, qui n'en finit pas et se mêle au voyage et qui
fait basculer un peu de temps. C'est une histoire d'amour. Je
t'attends méchamment avec des tas de mots de colère un peu
douce. Je pense à
la vie de toi marquée. |
|
Gustav |
Camouflage. |
|
D. |
Il y a le texte et l'idée
du texte. |
 |
Noëmie |
Idée que
n'affecte absolument aucun défaut. |
24 |
Mathieu |
Tu
veux venir désormais ? Tu
veux venir alors que tu ne voulais pas. |
|
Gustav |
Je
ne sais pas encore. Oui,
non et rien qui vaille, et rien qui aille, qui aille avec nos vies. |
|
Mathieu |
Il
faut que tu saches maintenant. Les
heures se creusent. Regarde, Ton
image descend dans l'eau avec les arabesques d'une flottaison malhabile.
Les grands pylônes électriques soutiennent
les nuages qui tombent. |
|
Noëmie |
Ce
sont des images. Ce sont des métaphores. C'est frauder le réel. Toute
fraude en effet et toute tromperie dépendent de quelque défaut,
la lumière naturelle le fait voir manifestement. |
 |
D. |
C'est
aussi l'écriture. Écrire,
ce n'est pas comprendre et ce n'est pas lire. Mais
la vie... |
25
|
Gustav
|
Ce
sera bien là-bas, dans le départ. Nous
pouvons aussi choisir d'autres lieux et imaginer le trajet, le
parcours,
les voies qui conduisent à ces autres lieux. |
|
Mathieu |
Il
faut trouver combien de lieux ? |
|
Gustav |
Plusieurs.
Il faut en trouver plusieurs. Tous. |
|
Noëmie |
Mais
avant d'examiner plus scrupuleusement ce point et de poursuivre en même
temps mon enquête en direction des autres vérités qu'on
peut en recueillir, je voudrais m'arrêter ici quelque temps. |
|
Mathieu |
Diversion,
comme tant de commentaires, comme tant d'analyses proposées. |
|
D. |
L'idée
avance peu à peu de ne plus trop parler. |
 |
Gustav |
Je
regarde les gens. Je
m'amuse
à les suivre, sous le vent, chasseur de bruit et d'odeurs. Cela
suffit. Nous pourrions rester. |
26 |
Mathieu |
Je
vais encore voir les plages. |
|
Gustav |
Moi, je
me promène dans la ville avec ce soupçon d'inquiétude
qui rend l'air plus sec et plus léger. Puis, je
vais dormir dans l'oubli de ces jours. |
|
D. |
Maximum
Eclipse. |
|
Noëmie |
Nous
expérimentons qu'une telle contemplation, quoique beaucoup moins
parfaite, peut donner le plus grand plaisir dont nous soyons capables
en
cette vie. |
|
D. |
Avec le sommeil, nous
n'avons pas
le temps vraiment d'être au monde. |
 |
Mathieu |
Nous croyons alors nous
révolter, mais notre
révolte se révolte contre le passé. Nous ne retrouverons
jamais les traces du
monde. |
27
|
Gustav
|
Jamais
les traces du monde... Je
me rappelle aussi. Je
me rappelle le soir dans les villes et je me rappelle aussi avoir dit
oui
parfois, avoir dit non parfois. Désormais, nous
ne faisons plus de fête et ces fins de semaine, les maisons restent
vides, sans cris et sans désir. Puis, je ne
me rappelle plus. Je ne me rappelle plus pour ne pas ressentir l'angoisse
de choisir d'avoir raison ou d'avoir tort sur un avenir lointain. |
|
Mathieu |
Tu
me rejoindras près du viaduc de Morlaix, nous en compterons les
arches avec méthode, recommençant sans fin pour ne pas nous
tromper. |
|
Gustav |
Tu
proposes toujours des compromissions. |
|
Noëmie |
Ou
des compromis. Je me
suis
tellement accoutumée ces jours-ci à détacher l'esprit
des sens, et j'ai mis tant de soin à remarquer qu'il y a fort peu
de perceptions vraies concernant les choses corporelles. |
|
Mathieu |
Ou
bien ce sera quelque part entre
Caen et Annecy, comme l'éclipse partielle de 2003. |
 |
D. |
Je
ne sais plus quoi écrire de vos dialogues. Je ne sais plus quoi
écrire si j'ai jamais su écrire quelque chose de vous. Vous
ne regardez pas vraiment la Bretagne. Vous oubliez la Bretagne. Vous
restez
collés au texte que l'on vous donne, au texte qui vous est proposé,
qui n'est pas le texte que j'écris. Vous pourriez faire autrement. |
28
|
Gustav
|
Nous pourrions ne
pas laisser le temps jouer le temps. Mais il
n'y a plus aucun espoir. Nous regardons la Bretagne. Ce n'est pas
vrai
que nous ne regardons pas la Bretagne. Je peux te dire que les
plots de la digue vont être repeints pour l'été et
les enfants auront l'espoir de sauter de l'un à l'autre sans tomber,
surtout sans tomber. |
|
Mathieu |
Je peux te dire où le
soleil se lève, dos à la mer, à l'envers. |
|
Gustav |
Il y a les souvenirs de
Bretagne. Ce sont ces souvenirs qui sont les
défis lancés aujourd'hui, là. Ce sont toujours
les souvenirs. Je
ne sais pas pourquoi. |
|
Noëmie |
Il
est sûr que j'ai de l'esprit humain, en tant qu'il est une chose
pensante, et non pas étendue en longueur, largeur et profondeur,
sans rien d'autre de corporel, une idée beaucoup plus distincte
que celle d'aucune chose corporelle. Il en va ainsi des souvenirs.
Je peux en avoir une idée beaucoup plus distincte que celle de la
réalité. |
|
Gustav |
Mais dans mes souvenirs, il
n'y a pas de son. |
 |
D. |
Nous sommes chargés
de cela, du son, de l'éclairage, des dialogues, pour toi. |
29
|
Gustav
|
Je
pensais avoir pourtant donné de longue date toutes les explications
nécessaires. Je ne veux pas de mise en scène. Je ne veux
pas de décor. Je veux que l'on me rende mes souvenirs. Je veux que
vous m'aidiez à retrouver mes souvenirs. C'est
à vous de jouer. |
|
Mathieu |
Je
ne sais jamais ce que tu vas inventer pour t'échapper. |
|
Noëmie |
Il
n'y a rien à faire. Je
suis une chose incomplète et dépendante. |
|
D. |
Je
pense que nous t'avons déjà rendu des souvenirs. Il y a ce
moment particulier où tu
te penches par la fenêtre de la voiture. Il y a un
peu de brume et les maisons qui ne se réveillent pas. |
 |
Gustav |
Je
ne me rappelle pas. Je me rappelle la
solitude, seule et seulement. |
30
|
|
Et puis je
n'arrive pas à m'intéresser. La nuit, je
ne dors pas vraiment. Le jour, je
prends beaucoup de temps à regarder la carte. Et
à présent il me semble reconnaître un chemin difficile. Le
mot est venu des confins de l'enfance. |
|
Mathieu |
Puisque
tout cela, je pars aussi. |
|
Gustav |
L'éclipse
revient. Le mot est
venu
des confins de l'enfance. |
|
Noëmie |
Tu pars, en une
seule application d'affirmations, une seule application d'assertions et
de promesses, une seule application de certitudes. |
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Mathieu |
Je pars. |
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D. |
Je pars. |
31 |
Mathieu |
C'est
une promenade que l'on ne peut pas faire. |
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D. |
C'est
une promenade. |
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Mathieu |
L'allure
et la direction semblent étranges. C'est
une promenade que l'on ne peut pas faire la nuit. Prenons
garde à la nuit, elle est libre, la nuit. C'est un faux chemin,
c'est une fausse route. |
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Noëmie |
En
toute tromperie ou fraude, en effet, on rencontre de l'imperfection. |
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Mathieu |
Tu
te rappelles, tu as déjà essayé de faire cette promenade. Et
puis tu as eu cette peur qui ne te quitte plus. C'est depuis que tu
es dans ton
absence permanente. Absent
de cette absence. |
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Gustav |
Je
ne me souviens pas. |
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vers le mois
de juin 2008 |