|
|
Mais il n'y a
rien de plus
proche de l'amour que l'oubli. Il n'y a rien de plus
proche de l'amour
que l'absence, que l'absence de mémoire et l'absence de souvenirs
après les souvenirs. On
ne se souvient jamais de l'amour, on en
cherche les traces, on en cherche les marques sur un paysage, sur une
ville,
sur une rue, sur le vent qui passe et sur la lumière dans une ville,
dans une rue, un peu de lumière dans le vent qui passe. C'était
le sens de notre promenade.
En 2006, Mathieu a
tenté
un long monologue sur le passé, qui est plus abstrait encore que
le souvenir et la mémoire, un objet indistinct et terriblement flou.
Il disait ceci et je ne suis pas certaine que Gustav l'écoutait
vraiment.
« Il
était une fois le passé. Il était une fois, dans un
monde, dans un certain monde, un temps, un certain temps, que l'on
appelait
le passé. Le passé était un temps commode, un temps
accueillant, qui engrangeait, qui accumulait, qui acceptait tout ce
qu'on
voulait bien lui donner et qui accueillait aussi quantité de choses
que l'on ne voulait pas lui donner et qui lui revenaient sans qu'on
l'ait
voulu, sans qu'on l'ait jamais voulu, qui revenaient au passé, qui
lui revenaient nécessairement, sans qu'on l'ait vraiment voulu,
sans qu'on le sache même. Certains tentaient de se défendre
contre la gloutonnerie du passé, mais le passé les avalait,
les digérait, ogre vorace, ogre universel, ogre impitoyable. Ils
lui avaient pourtant tout cédé, tout jeté, des histoires
et des histoires, des enfances, des amours et des tas de souvenirs, des
souvenirs et des souvenirs, des lectures, des douleurs, de grandes
joies
et des peines, ils avaient tout jeté au passé, vers lui,
pour lui, pour ne pas être engloutis par le passé, qui ne
se contentait pourtant jamais de leur bimbeloterie et qui finissait
toujours
par les prendre eux aussi. »
Mon passé peut être
séparé de moi-même. Ce
que je peux dire ne peut pas
être séparé de moi-même. Y
a-t-il rien qui puisse être dit séparé de moi-même ? Je dois
pourtant continuer à parler de ce silence alors
même que je ne peux plus, en aucun cas, me permettre ce silence
embarrassé. |