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Je
peux aussi remplacer mes souvenirs perdus, mes souvenirs personnels
perdus,
ces anecdotes biographiques effacées, par des souvenirs communs,
des souvenirs culturels, des souvenirs civilisationnels. Ce sont sans
doute
ce que les journalistes et les sociologues pourraient nommer des
pratiques
mémorielles. Je suis aujourd'hui à Nagykanisza, qui mêle
en moi son nom avec celui de Nagasaki. Quels souvenirs puis-je inventer
entre Nagykanisza et Nagasaki, qui ne soient pas un souvenir de
guerre ? Les
couleurs, les sons, les saveurs, la douleur et choses semblables
aurait
dit Descartes.
Je
suis venu ici, il y a quelques années. C'était déjà
le début de l'automne. Il pouvait pleuvoir. Les rues ne me
disaient
rien de plus que ce début d'automne sous la pluie. La
saison n'est même pas un mode du penser. La
fiction fait parfois semblant d'être neutre.
Ai-je
vraiment besoin de ce souvenir quand je ne peux plus savoir si tu étais
là ? Je
sais maintenant que tu me suis encore, comme un enfant pervers, qui ne
veut pas dire bonjour au monsieur, qui se cache derrière l'armoire
et qui, une fois qu'il a été attrapé, se colle au
visiteur dans un désir soudain irrépressible, puis pleure
quand on le détache, pour retourner se cacher. |