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Daniel |
Mon
travail d'écriture, mon travail d'auteur est celui d'une tentation et
tout à la fois d'une tentative. La tentation serait de croire à la
possibilité du réel et la tentative serait de tendre à l'atteindre.
Dans cette quête, qui s'approcherait d'une lucidité universelle, je n'aurai aucune aide.
Il ne s'agit pas d'inventer un récit mais, comme un mineur de fond,
extraire de ce qu'il est habituel de nommer récit et qui n'est que
fiction, la veine particulière d'un récit et lui donner forme. Dès
lors, si je ne peux concevoir ma vie que comme un récit de
vie, donc comme une fiction, et que par conséquent, pour ce qui est de
ma vie, je n'ai jamais pleinement accès au réel, il est loyal de me
demander à moi même si je suis le personnage principal de cette
fiction, si je suis le personnage principal du récit de ma vie. La
réponse est désormais établie et elle est négative. Dans ce récit
autobiographique continu, je ne fais que l'auteur
comme on
joue le rôle du majordome dans une pièce de boulevard. Et même, je
l'avoue, souvent je
ne me souviens plus
de mon rôle. Suis-je pour autant aveugle à moi-même comme aux autres je
m'aveugle ? Pas autant que je pourrais l'espérer car si j'étais
parfaitement opaque à moi-même je ne ressentirais aucune forme de
culpabilité. Ce
qui fait voir que les hommes connaissent mieux leurs fautes qu'on ne
pense, c'est qu'ils n'ont jamais tort quand on les entend parler de
leur conduite : le même amour-propre qui les aveugle d'ordinaire
les
éclaire alors, et leur donne des vues si justes qu'il leur fait
supprimer ou déguiser les moindres choses qui peuvent être condamnées,
disait La Rochefoucauld. Il aurait pu dire la même chose de ceux
qui, en permanence, se chargent du malheur du monde. |