Diégèse




dimanche 3 août 2014



2014
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La Fortune des Rougon2




Ce fut dans ce singulier accoutrement qu'il courut la ville, contant son histoire et demandant justice.
Les gens qu'il alla consulter le reçurent avec un mépris qui lui fit verser des larmes de rage
. En province, on est implacable pour les familles déchues. Selon l'opinion commune, les Rougon-Macquart chassaient de race en se dévorant entre eux ; la galerie, au lieu de les séparer, les aurait plutôt excités à se mordre. Pierre, d'ailleurs, commençait à se laver de sa tache originelle. On rit de sa friponnerie ; des personnes allèrent jusqu'à dire qu'il avait bien fait, s'il s'était réellement emparé de l'argent, et que cela serait une bonne leçon pour les personnes débauchées de la ville.
Antoine rentra découragé. Un avoué lui avait conseillé, avec des mines dégoûtées, de laver son linge sale en famille, après s'être habilement informé s'il possédait la somme nécessaire pour soutenir un procès. Selon cet homme, l'affaire paraissait bien embrouillée, les débats seraient très longs et le succès était douteux. D'ailleurs, il fallait de l'argent, beaucoup d'argent.
Ce soir-là
, Antoine fut encore plus dur pour sa mère ; ne sachant sur qui se venger, il reprit ses accusations de la veille ; il tint la malheureuse jusqu'à minuit, toute frissonnante de honte et d'épouvante. Adélaïde lui ayant appris que Pierre lui servait une pension, il devint certain pour lui que son frère avait empoché les cinquante mille francs. Mais, dans son irritation, il feignit de douter encore, par un raffinement de méchanceté qui le soulageait. Et il ne cessait de l'interroger d'un air soupçonneux, en paraissant continuer à croire qu'elle avait mangé sa fortune avec des amants.
« Voyons, mon père n'a pas été le seul », dit-il enfin avec grossièreté.
À ce dernier coup, elle alla se jeter chancelante sur un vieux coffre où elle resta toute la nuit à sangloter.
Antoine comprit bientôt qu'il ne pouvait, seul et sans ressources, mener à bien une campagne contre son frère, Il essaya d'abord d'intéresser Adélaïde à sa cause ; une accusation, portée par elle, devait avoir de graves conséquences.
Mais la pauvre femme, si molle et si endormie, dès les premiers mots
d'Antoine, refusa avec énergie d'inquiéter son fils aîné.
« Je suis une malheureuse, balbutiait-elle. Tu as raison de te mettre en colère. Mais, vois-tu, ce serait trop de remords, si je faisais conduire un de mes enfants en prison. Non, j’aime mieux que tu me battes. »
Il sentit qu'il n'en tirerait que des larmes, et il se contenta d'ajouter qu'elle était justement punie et qu'il n'avait aucune pitié d'elle. Le soir
, Adélaïde, secouée par les querelles successives que lui cherchait son fils, eut une de ces crises nerveuses qui la tenaient roidie, les yeux ouverts, comme morte. Le jeune homme la jeta sur son lit ; puis, sans même la délacer, il se mit à fureter dans la maison, cherchant si la malheureuse n'avait pas des économies cachées quelque part. Il trouva une quarantaine de francs. Il s'en empara, et, tandis que sa mère restait là, rigide et sans souffle, il alla prendre tranquillement la diligence pour Marseille.
Il venait de songer que
Mouret, cet ouvrier chapelier qui avait épousé sa sœur Ursule, devait être indigné de la friponnerie de Pierre, et qu'il voudrait sans doute défendre les intérêts de sa femme. Mais il ne trouva pas l'homme sur lequel il comptait. Mouret lui dit nettement qu'il s'était habitué à regarder Ursule comme une orpheline, et qu'il ne voulait, à aucun prix, avoir des démêlés avec sa famille. Les affaires du ménage prospéraient. Antoine, reçu très froidement, se hâta de reprendre la diligence. Mais, avant de partir, il voulut se venger du secret mépris qu'il lisait dans les regards de l'ouvrier ; sa sœur lui ayant paru pâle et oppressée, il eut la cruauté sournoise de dire au mari, en s'éloignant :
« Prenez garde, ma sœur a toujours été chétive, et je l'ai trouvée bien changée ; vous pourriez la perdre. » Les larmes qui montèrent aux yeux de
Mouret lui prouvèrent qu'il avait mis le doigt sur une plaie vive. Ces ouvriers étalaient aussi par trop leur bonheur.

La Fortune des Rougon
Émile Zola
1870
Car les débauchés et les fainéants n'aiment pas, d'ordinaire, que l'on fasse autrement qu'ils ne font. Ursule et Mouret menaient une vie calme. Marseille leur réussissait. C'était alors, parmi les grandes villes de France, celle qui, de loin, était pour les pauvres, la plus accueillante. C'est que la mer, plus que la terre, est nourricière et que personne n'a jamais pu décréter qu'il la possédait. Dès leur plus jeune âge, les garçons, et même quelques filles, apprennent les uns des autres à pêcher le poisson, à courir de calanques en calanques, à s'embaucher sur un de ces petits bateaux que l'on nomme pointus. La ville, protégée par le rempart naturel que lui font ses collines abruptes et déchiquetées, vit à sa guise, fécondée par les navires de haute mer qui racontent les histoires formidables de contrées éloignées. La ville prélève d'ailleurs son contingent d'hommes, qui deviennent marins et reviennent ou ne reviennent jamais. La tempête en emporte certains quand d'autres trouvent une fille et s'établissent se fondant vite dans les foules cosmopolites des ports. Pourtant proche de Plassans, à quelques heures de diligence, Marseille n'a rien de semblable à la sous-préfecture aristocratique et bourgeoise. Jamais aucun Marseillais n'aurait d'ailleurs l'idée de venir y tenter des affaires ou s'y installer. On sait dans le pays entier que la chose est impossible tant toute idée de changer de condition y est bannie. Même les mœurs marseillaises étaient déjà plus déliées que dans le reste du pays. Le soleil et la mer donnent aux corps des souplesses que l'on ne connaît pas ailleurs et beaucoup moins de gêne et de honte que dans les terres.
Ursule, malheureusement, n'avait pas profité de tout cela, comme si l'opprobre de sa naissance lui gâtait le teint et la santé. Elle avait pourtant avec Mouret un mari plein d'attention et qui faisait profession de l'aimer. Rien n'y faisait, elle dépérissait. Rien ne lui manquait pourtant, et surtout pas sa condition à Plassans où elle n'aurait même pas pu élever dignement ses enfants. Rien n'y faisait. Elle semblait plongée dans la tristesse comme si une humeur maligne lui suçait le sang. Mouret avait même songé à consulter l'une de ces rebouteuses qui professent dans le quartier du Panier. Il en vint une, puis une autre, sans qu'aucune ne parvînt à la remettre sur pied. Mouret renonça à aller en chercher une troisième. C'est que le ménage vivotait et ne pouvait se le permettre.
Pourtant, l'amour qui s'était noué entre Ursule et Mouret était digne d'une histoire. L'ouvrier chapelier avait pour son épouse des attentions de prince hériter pour la mère de ses enfants et ils avaient entre eux de ces délicatesses que l'on ne trouve que dans les familles les plus élevées. Jamais l'un n'élevait la voix contre l'autre, ni ne marquait aucune impatience. Mouret était prévenant et à la condition que sa femme n'en dît rien à personne, il insistait pour l'aider dans les tâches ménagères. Voyant bien que les forces chancelantes de sa femme ne lui permettaient pas de tirer l'eau et de la remonter le long des ruelles en pentes du quartier où ils habitaient, il avait ainsi confectionné une sorte de sac qu'il portait sur son dos et rapportait l'eau sans que les hommes du quartier se moquent. C'est que dans ces villes méditerranéennes, plus encore que dans le reste du pays, la répartition des tâches entre les hommes et les femmes est précise et immuable, et il n'est pas de bon ton d'y déroger. Verrait-on un homme laver le linge qu'il serait la risée de tous, sinon davantage et, s'il persévérait, on le retrouverait sans doute abattu d'un mauvais coup. Les jeunes femmes aidaient les plus vieilles, recréant ainsi ses sociétés de femmes que les auteurs antiques ont décrites. Marseille était bien une ville française mais aussi la petite sœur de Constantinople, d'Éphèse ou d'Alexandrie, dont elle était plus proche qu'elle n'était de Paris, de Strasbourg ou de Maubeuge. Marseille entretenait les légendes d'antan, et faisait ses dévotions à Marie-Madeleine qui, de toutes les saintes des quatre évangiles, était bien celle qui lui allait le mieux. Les femmes marseillaises s'identifiaient volontiers en cette femme forte et aimante, fidèle jusqu'au tombeau et connaissant la première la révélation de la résurrection. Ursule quant à elle, ressemblait à la sœur de Lazare.

Zola augmenté
Daniel Diégèse
2014










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