Diégèse | |||||||||
samedi 9 août 2014 | 2014 | ||||||||
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La Fortune des Rougon2 | |||||||||
Fine, cette
gaillarde qui le rossait d'importance, quand ils étaient
ivres tous les deux, continuait à trembler devant lui, lorsqu'elle
avait son bon sens, et le laissait régner en despote au logis. Il lui
volait la nuit les gros sous qu'elle gagnait au
marché dans la journée,
sans qu'elle se permît autre chose que des reproches voilés. Parfois,
lorsqu'il avait mangé à l'avance l'argent de la semaine, il accusait
cette malheureuse, qui se tuait de travail, d'être une pauvre tête, de
ne pas savoir se tirer d'affaire. Fine, avec une douceur
d'agneau,
répondait de cette petite voix claire qui faisait un si singulier effet
en sortant de ce grand corps, qu'elle n'avait plus ses vingt ans, et
que l'argent devenait bien dur à gagner. Pour se consoler, elle
achetait un litre d'anisette, elle buvait le soir
des petits verres
avec sa fille, tandis qu'Antoine retournait au café.
C'était là leur
débauche. Jean allait se coucher,
les deux femmes restaient attablées,
prêtant l'oreille, pour faire disparaître la bouteille et les petits
verres au moindre bruit. Lorsque Macquart s'attardait, il
arrivait
qu'elles se soûlaient ainsi, à légères doses, sans en avoir conscience.
Hébétées, se regardant avec un sourire vague, cette mère et cette fille
finissaient par balbutier. Des taches roses montaient aux joues de
Gervaise ; sa petite face de poupée, si délicate, se noyait dans
un air
de béatitude stupide, et rien n'était plus navrant que cette enfant
chétive et blême, toute brûlante d'ivresse, ayant sur ses lèvres
humides le rire idiot des ivrognes. Fine, tassée sur sa
chaise,
s'appesantissait. Elles oubliaient parfois de faire le guet, ou ne se
sentaient plus la force d'enlever la bouteille et les verres, quand
elles entendaient les pas d'Antoine dans l'escalier.
Ces jours-là, on
s'assommait chez les Macquart. Il fallait que Jean se levât pour séparer son père et sa mère, et pour aller coucher sa sœur qui, sans lui, aurait dormi sur le carreau. |
Émile Zola 1870
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Les raisons pour lesquelles, ni Fine, ni Gervaise ne semblaient pouvoir distinguer ni formuler l'injustice de Macquart, ni même encore son insolent égoïsme, étaient mystérieuses. Il avait certainement fallu ces siècles d'habitude qui rendirent acceptable que les mâles dominent les femelles. Et puis, il y avait cette bizarrerie qui fait qu'un homme qui est seulement un peu injuste est dénoncé sur le champ alors qu'un homme qui lui, est très injuste, plus injuste que personne d'autre n'oserait l'être, réussit à dissimuler son injustice par la crainte qu'il provoque et parfois, par un masque d'énergie ou d'originalité. Il en va d'ailleurs de même pour les voleurs. Les petits voleurs ont plus de chance de se faire prendre à peine leur larcin commis, quand les très grands voleurs peuvent dormir sur leur magot sans jamais être inquiétés. Un phénomène semblable, enfin, est constaté pour les mensonges. Les gros mensonges sont toujours les plus crédibles. On imagine assez bien, dès lors, la chance qu'aurait un homme qui surgirait pour prendre le pouvoir et qui adopterait comme principe personnel de gouvernement l'injustice, le mensonge et le vol. Il pourrait fort bien se maintenir longtemps au pouvoir, en partir puis y revenir même, à la condition cependant que l'injustice, le mensonge et le vols soient d'importance, manifestes et sans scrupules aucun. On a d'ores et déjà vu dans l'Histoire des régimes fonctionnant de la sorte et des tribuns enflammés au verbe plus vertueux que les actes. On en reverra très certainement car, quelle que soit l'avancée des techniques et ce que l'on nomme le progrès, les aveuglements du peuple demeurent identiques à ce qu'ils ont toujours été. Les Macquart dessinaient dans leur taudis les jougs de toutes les dominations et de toutes les dérives. La déréliction de leur famille reprenait à la petite échelle les conditions qui conduisent à la fin des civilisations. |
Daniel Diégèse 2014
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9 août | |||||||||
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