Diégèse | |||||||||
lundi 11 août 2014 | 2014 | ||||||||
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La Fortune des Rougon2 | |||||||||
Ce
qui fit surtout de lui un républicain féroce, ce fut l'espérance
de
se venger enfin des Rougon, qui se rangeaient
franchement du côté de la
réaction. Ah ! quel triomphe ! s'il pouvait un jour tenir
Pierre et
Félicité à sa
merci ! Bien que ces derniers eussent fait d'assez
mauvaises affaires, ils étaient devenus des bourgeois, et lui,
Macquart, était resté
ouvrier. Cela l'exaspérait. Chose plus
mortifiante peut-être, ils avaient un de leurs fils avocat, un autre
médecin, le troisième employé, tandis que son Jean travaillait chez un
menuisier, et sa Gervaise, chez une blanchisseuse.
Quand il comparait
les Macquart aux Rougon, il éprouvait encore une
grande honte à voir sa
femme vendre des châtaignes à la halle et rempailler,
le soir, les
vieilles chaises graisseuses du quartier. Cependant, Pierre était son
frère, il n'avait pas plus droit que lui à vivre grassement de ses
rentes. Et, d'ailleurs, c'était avec l'argent qu'il lui avait volé,
qu'il jouait au monsieur aujourd'hui. Dès qu'il entamait ce sujet, tout
son être entrait en rage ; il clabaudait pendant des heures,
répétant
ses anciennes accusations à satiété, ne se lassant pas de dire : « Si mon frère était où il devrait être, c'est moi qui serais rentier à cette heure. » Et quand on lui demandait où devrait être son frère, il répondait : « Au bagne ! » d'une voix terrible. |
Émile Zola 1870
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Les hommes politiques qui s'adressent au peuples par leurs discours, déclamés ou imprimés, tentent tous de développer des arguments qu'ils veulent raisonnables, logiques et rationnels. La réalité des choix politiques des citoyens est toute autre et tient rarement de la raison et du raisonnement. Il y a ceux qui choisissent sur la bonne tête du candidat, trouvant ou non que son allure est conforme à l'emploi. Fût-il plus gros, plus petit ou plus grand que c'en était fait et qu'il n'eût jamais connu aucune popularité. Certains vont jusqu'à mettre dans la balance les faits et gestes de son entourage. Les bonnes œuvres des reines sont depuis longtemps les gages de la popularité des rois. Si Louis le seizième avait eu une épouse un peu dévote, la France serait encore sans doute une monarchie. Mais il a fallu que Marie-Antoinette voulût faire manger de la brioche aux Français pour qu'ils renversassent le roi, la reine et le petit prince. C'est aussi que la reine s'était trompée d'époque. Eût-elle été reine de France cinquante années plus tôt que personne ne se fût plaint de ses munificences. Certaines périodes sont graves quand d'autres fleurent bon l'insouciance et il faut que les gouvernants se plient à leur époque sous peine, s'ils ne le font pas, d'être renvoyés sous les huées de l'Histoire. Il y a enfin ceux qui choisissent leur bord parce qu'ils ont un compte personnel à régler avec leur frère ou leur cousin. Macquart était de ceux-là. |
Daniel Diégèse 2014
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Sa haine s'accrut encore,
lorsque les Rougon
eurent groupé les
conservateurs autour d'eux, et qu'ils prirent, à Plassans, une certaine
influence. Le fameux salon jaune devint, dans ses bavardages ineptes de
café, une caverne de bandits, une réunion de scélérats qui juraient
chaque soir sur des poignards d'égorger le peuple. Pour exciter contre Pierre les affamés, il alla
jusqu'à faire courir le bruit que l'ancien
marchand d'huile
n'était pas aussi pauvre qu'il le disait, et qu'il
cachait ses trésors par avarice et par crainte des voleurs. Sa tactique
tendit ainsi à ameuter les pauvres gens, en leur contant des histoires
à dormir debout, auxquelles il finissait souvent par croire lui-même.
Il cachait assez mal ses rancunes personnelles et ses désirs de
vengeance sous le voile du patriotisme le plus pur ; mais il
se
multipliait tellement, il avait une voix si tonnante, que personne
n'aurait alors osé douter de ses convictions. Au fond, tous les membres de cette famille avaient la même rage d'appétits brutaux. Félicité, qui comprenait que les opinions exaltées de Macquart n'étaient que des colères rentrées et des jalousies tournées à l'aigre, aurait désiré vivement l'acheter pour le faire taire. Malheureusement l'argent lui manquait, et elle n'osait l'intéresser à la dangereuse partie que jouait son mari. Antoine leur causait le plus grand tort auprès des rentiers de la ville neuve. Il suffisait qu'il fut leur parent. Granoux et Roudier leur reprochaient, avec de continuels mépris, d'avoir un pareil homme dans leur famille. Aussi Félicité se demandait-elle avec angoisse comment ils arriveraient à se laver de cette tache. Il lui semblait monstrueux et indécent que, plus tard, M. Rougon eût un frère dont la femme vendait des châtaignes, et qui lui-même vivait dans une oisiveté crapuleuse. Elle finit par trembler pour le succès de leurs secrètes menées, qu'Antoine compromettait comme à plaisir ; lorsqu'on lui rapportait les diatribes que cet homme déclamait en public contre le salon jaune, elle frissonnait en pensant qu'il était capable de s'acharner et de tuer leurs espérances par le scandale. |
Émile Zola 1870
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Et il est
vrai que si Macquart avait été plus habile et plus fin
et si ses histoires avaient été plus vraisemblables, il serait parvenu
à créer le doute chez ses auditeurs jusqu'à créer dans Plassans la
secrète et la molle une furieuse rumeur. Il fallait d'ailleurs tous les
excès du personnage et sa parasse invétérée pour qu'il n'y parvînt
point. Car, de la recette de la rumeur, il avait tous les ingrédients
sous la main : une société secrète qui n'était pas secrète. Des
réunions vespérales qui s'éternisaient. Des bourgeois à l'air compassé
et aux airs de comploteurs. Mais il y avait surtout un détail qui
pouvait fixer toutes les imaginations : la couleur jaune des meubles de
Félicité qui avait fourni le nom de « salon jaune ». Car,
l'esprit des sociétés est fait ainsi que tout ce qui porte un
nom, fut-ce l'objet le plus banal et le plus simple, peut dès lors être
le support d'un récit. Le salon jaune eût-il été bleu qu'il eût été
monarchiste; Eût-il été rouge, qu'il eût été révolutionnaire. Eût-il
été vert que l'on n'y eût pas fait de politique. Mais le salon jaune
était jaune, de cette couleur qui est la couleur de toutes les
ambigüités. Et parce qu'il était jaune, en s'y prenant bien et
doucement, on eût pu faire croire à Plassans qu'on y égorgeait les
enfants. Ce pourquoi le jaune est souvent la couleur de l'infamie tient
à des légendes historiques qu'il appartiendra au lecteur de vérifier.
Couleur de la trahison, de la félonie et de l'adultère, couleur de la
maladie et par conséquent de la quarantaine, les exemples foisonnent à
travers les siècles pour justifier la fascination trouble que la
couleur jaune exerce sur le peuple de France. C'est aussi que le jaune
est la couleur de la bile et des excréments et surtout qu'elle n'est la
couleur des yeux qu'en cas d'affection du foie. Les yeux sont bleus,
verts, marrons, ou même parfois dorés. Ils ne sont jaunes que par
excès. Mais Macquart, tout à sa rancœur et à sa colère avinée, n'avait pas le goût des couleurs et maniait peu la symbolique. Il n'y avait qu'une personne à Plassans à qui cela n'avait pourtant pas échappé. Le Docteur Pascal le savait mais il se taisait. |
Daniel Diégèse 2014
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11 août | |||||||||
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