Diégèse | |||||||||
mardi 12 août 2014 | 2014 | ||||||||
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La Fortune des Rougon2 | |||||||||
Antoine sentait à quel point son
attitude devait consterner les Rougon, et c'était uniquement pour
les mettre à bout de patience, qu'il
affectait, de jour en jour, des convictions plus farouches. Au café, il
appelait Pierre « mon
frère », d'une voix qui faisait retourner tous
les consommateurs ; dans la rue, s'il venait à rencontrer quelque
réactionnaire du salon
jaune, il murmurait de sourdes injures que le
digne bourgeois, confondu de tant d'audace, répétait le soir aux
Rougon
en paraissant les rendre responsables de la mauvaise rencontre qu'il
avait faite. Un jour, Granoux arriva furieux. « Vraiment, cria-t-il dès le seuil de la porte, c'est intolérable ; on est insulté à chaque pas. » Et, s'adressant à Pierre : « Monsieur, quand on a un frère comme le vôtre, on en débarrasse la société. Je venais tranquillement par la place de la Sous-Préfecture, lorsque ce misérable, en passant à côté de moi, a murmuré quelques paroles au milieu desquelles j'ai parfaitement distingué le mot de vieux coquin. » Félicité pâlit et crut devoir présenter des excuses à Granoux ; mais le bonhomme ne voulait rien entendre, il parlait de rentrer chez lui. Le marquis s'empressa d'arranger les choses. « C'est bien étonnant, dit-il, que ce malheureux vous ait appelé vieux coquin ; êtes-vous sûr que l'injure s'adressait à vous ? » Granoux devint perplexe ; il finit par convenir qu'Antoine avait bien pu murmurer : « Tu vas encore chez ce vieux coquin. » M. de Carnavant se caressa le menton pour cacher le sourire qui montait malgré lui à ses lèvres. Rougon dit alors avec le plus beau sang-froid : « Je m'en doutais, c'est moi qui devais être le vieux coquin. Je suis heureux que le malentendu soit expliqué. Je vous en prie, messieurs, évitez l'homme dont il vient d'être question, et que je renie formellement. » Mais Félicité ne prenait pas aussi froidement les choses, elle se rendait malade à chaque esclandre de Macquart ; pendant des nuits entières, elle se demandait ce que ces messieurs devaient penser. |
Émile Zola 1870
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Un soir, le marquis, voyant sur le visage de Félicité des marques accentuées de fatigue, la prit à part pour tenter de la tranquilliser. Il lui dit que les outrances et la présence-même d'Antoine était certes une disgrâce qu'il faudrait un jour traiter mais que le moment n'en était pas venu et qu'il fallait supporter le bonhomme. Il l'engagea à ne pas accorder autant d'importance aux saillies d'Antoine, qui ne pouvait ignorer que cela l'affectait, cela ne pouvant que l'encourager à persister. Félicité l'écouta car elle écoutait toujours le marquis en qui elle avait une confiance filiale. Le marquis revint sur l'épisode qu'il nommait « l'histoire du vieux coquin ». Il souffla à l'oreille de Félicité que pour être insultant, cela n'en était pas moins vrai et que Granoux, tout Granoux qu'il était, n'en était pas moins pour autant un vieux coquin, comme l'étaient d'ailleurs la plupart des hôtes de ce salon. Mais le marquis, cette fois, avait même manqué de finesse. Félicité, qui avait beaucoup de qualités d'intelligence manquait d'humour. Les plans qu'elle échafaudait en accueillant tout ce que Plassans comptait de réactionnaires rances et engraissés étaient pour elle une affaire très sérieuse. Il s'agissait même de toute sa vie. Elle regarda le marquis sans comprendre, l'œil si fixe qu'on l'aurait dit prise d'une crise d'apoplexie. Elle avait l'air d'une morte qui aurait tenu debout. Comprenant sa méprise, le marquis, homme d'esprit, fit une de ces pirouettes qui lui étaient familières. Il ajouta : « Vieux coquin, comme je le suis moi-même. L'important n'est pas là. Granoux qui s'offusque a bien dans sa famille proche un ou deux bâtards et tous ces bourgeois qui se piquent de respectabilité ont des placards où ils rangent soigneusement ce qu'ils ne veulent pas que la société sache. Nous, les aristocrates, avons réglé ces questions depuis des siècles. Nous nous moquons parfaitement de la respectabilité, qui est une guigne que nous laissons bien volontiers aux bourgeois. La respectabilité conduit rapidement à la sottise et l'on a vu des gens aller jusqu'à perdre la vie pour une histoire qui aurait été oublié avant Pâques. Allons petite, fais-moi confiance. Tant que je suis là, Antoine pourra insulter le monde que le monde continuera de venir ici. » |
Daniel Diégèse 2014
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Quelques mois avant le
coup d'État, les Rougon reçurent une lettre
anonyme, trois pages d'ignobles injures, au milieu desquelles on les
menaçait, si jamais leur parti triomphait, de publier dans un journal
l'histoire scandaleuse des anciennes amours d'Adélaïde et du vol dont
Pierre s'était rendu
coupable, en faisant signer un reçu de cinquante
mille francs à sa mère,
rendue idiote par la débauche. Cette lettre fut
un coup de massue pour Rougon lui-même. Félicité ne put s'empêcher de
reprocher à son mari sa honteuse et sale famille ; car les époux
ne
doutèrent pas un instant que la lettre fût l'œuvre d'Antoine. « Il faudra, dit Pierre d'un air sombre, nous débarrasser à tout prix de cette canaille. Il est par trop gênant. » Cependant Macquart, reprenant son ancienne tactique, cherchait des complices contre les Rougon, dans la famille même. Il avait d'abord compté sur Aristide, en lisant ses terribles articles de l'Indépendant. Mais le jeune homme, bien qu'aveuglé par ses rages jalouses, n'était point assez sot pour faire cause commune avec un homme tel que son oncle. Il ne prit même pas la peine de le ménager et le tint toujours à distance, ce qui le fit traiter de suspect par Antoine ; dans les estaminets où régnait ce dernier, on alla jusqu'à dire que le journaliste était un agent provocateur. |
Émile Zola 1870
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Bien que méditerranéenne, la société de Plassans en avait perdu certains usages qui veulent que l'honneur soit un bien si précieux qu'on ne le bafoue jamais sans en payer le prix. Nul doute que si l'affaire s'était déroulée à Bastia ou dans la ville d'Ajaccio, les règles que les Corses s'appliquent à eux-mêmes comme ils les appliquent aux autres auraient fait le travail et qu'Antoine aurait eu à répondre de manière catégorique de ses accusations. on ne peut sur l'île accuser quiconque de collaborer avec la gendarmerie ou d'être un mouchard en toute impunité, tout simplement parce que cela ne se dit pas, ou seulement de bouche à oreille dans le secret du maquis. Celui qui est soupçonné de trahison, fut-ce une trahison vénielle, est bientôt retrouvé mort et est vite enterré. Sa mémoire même, ne sera plus jamais évoquée sans gêne et deux générations suffiront à effacer sa mémoire de l'histoire de la famille. Mais celui qui accuse à tort connaît souvent le même sort. Considéré comme un bavard, défaut que les habitants de l'ile détestent parmi tous les défauts, il est vite ostracisé et, s'il persiste, il disparaît un jour sans laisser d'autres traces que les notes qu'il a laissées dans les estaminets. Mais Plassans n'est pas la Corse et laissait Antoine clabauder sans fin dans tous les cafés de la ville. Entouré de fidèles, pochards comme lui, il finissait par croire lui-même à ses récits. |
Daniel Diégèse 2014
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